Une nouvelle foi émerge
Par Josef
Joffe
Ma traduction d'un article récent paru en anglais et qui peut donner à réfléchir...
Greta Thunberg, l'adolescente de
Stockholm, est la prophète d'une nouvelle religion qui se répand en
Occident. Appelons ça le Climatisme. Comme toute religion digne de
ce nom, elle est accompagnée de son propre catéchisme (ce qu'il
faut croire) et de son eschatologie (comment le monde va finir). La
bible de Thunberg est le dernier rapport du Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui nous donne
12 ans pour sauver la civilisation telle que nous la
connaissons.
Nous avons prié les faux dieux de la croissance tirée des énergies fossiles, selon l'acte d'accusation de Thunberg. Coupables sont les adultes qui "nous ont menti" et donné de "faux espoirs". Mais la croisade de ses enfants - pas d'école " les vendredis du futur " (“Fridays for Future”)- montrera le chemin de la rédemption.
Nous avons prié les faux dieux de la croissance tirée des énergies fossiles, selon l'acte d'accusation de Thunberg. Coupables sont les adultes qui "nous ont menti" et donné de "faux espoirs". Mais la croisade de ses enfants - pas d'école " les vendredis du futur " (“Fridays for Future”)- montrera le chemin de la rédemption.
Et donc, les jeunes l'ont fait. Le 20
septembre, la jeune fille de 16 ans avait réussi à organiser des
marches de protestation dans le monde entier. De New York à Nairobi,
de l'Asie à l'Australie, des dizaines de milliers de personnes ont
envahi les places et les rues de leurs villes en chantant : "Vous
aviez un avenir, et nous devrions en avoir un aussi !" 2019 est
l'année 1, Anno Gretae.
Bien sûr, Greta Thunberg n'est pas
sortie de nulle part. Toutes les nouvelles religions émergent de
sectes concurrentes, comme Jésus à Jérusalem et Mahomet dans le
Hejaz arabe. Pourquoi a-t-elle réussi si rapidement, pratiquement en
l'espace de quelques mois ? Une "enfant innocente", dit
Gerard Baker dans le Wall Street Journal, "est une histoire
inspirante qui est très efficace pour donner l'exemple et propager
la foi." Un air ingénu occulte des tonnes de données et des
régressions multiples brassées par le GIEC. Mais il est également
utile que Greta ait une machine de relations publiques sans faille
fonctionnant en arrière-plan tout le temps.
L'environnementalisme n'est pas une
chose nouvelle sous le soleil. Il a une longue tradition qui remonte
au Sierra Club américain, fondé en 1892 pour des objectifs à la
fois civils et environnementaux. Parmi les exploits du club, on
compte de merveilleux parcs nationaux tels que le Yosemite et le
Yellowstone. Mais j'ai remarqué pour la première fois la nature
crédule du mouvement il y a 12 ans en Californie. Dans la vallée de
Napa, l'hôtel Gaia avait abandonné la Bible de Gédéon en faveur
de "Une vérité qui dérange" d'Al Gore ("An
Inconvenient Truth").1
Eclipsé par Thunberg, Gore est
néanmoins toujours dans le business de la prophétie. Dans le New
York Times de septembre dernier, il a doublé le nombre de
prophéties. "Des ouragans de catégorie 5 plus destructeurs se
développent", a-t-il écrit. "Des feux monstres s'allument
et brûlent sur tous les continents sauf l'Antarctique, la glace fond
en grande quantité là-bas et au Groenland, et l'accélération de
la montée du niveau de la mer menace maintenant les villes de basse
altitude et les nations insulaires."
Pour les croyants, le débat est clos,
et l'exhortation s'est transformée en excommunication. Fini l'humour
grinçant, comme celui qu'on retrouve sur l'inoubliable autocollant
de pare-chocs des années 1970 : "Sauvez la planète ! Tuez-vous
!" Ceux qui rejettent la foi sont des " négateurs du
changement climatique ", comme dans " la négation du Père
et du Fils " (1 Jean 2:23). Reliez le Climatisme au
Judéo-Christianisme, et les analogies psycho-structurelles abondent.
D'abord, vous avez besoin d'un prophète
comme Esaïe qui fait pleuvoir la damnation sur le récalcitrant.
"Malheur à un peuple dont la culpabilité est grande, une
congrégation de mécréants ! Ils ont abandonné le Seigneur et lui
ont tourné le dos" (Esaïe 1:4). Greta, et Gore avant elle,
reproduit le langage du Livre Saint. Aujourd'hui, la pénitence exige
de renoncer aux plaisirs matériels obscènes qui condamnent notre
planète à des mégatonnes de gaz nocifs.
Deuxièmement, invoquez l'apocalypse,
comme dans l'Apocalypse de saint Jean (Apocalypse 13, 13), où Dieu
"fera descendre du feu du ciel". La religion, païenne ou
monothéiste, est traversée par des attaques d'angoisse cosmique. Le
Déluge remonte à l'épopée mésopotamienne de Gilgamesh (1800 av.
J.-C.). Sodome et Gomorrhe sont réduites en cendres pour leurs
débauches. L'Égypte est punie par les Dix Fléaux pour forcer le
Pharaon à "laisser partir mes enfants". À peine
avaient-ils fui que Dieu voulait les tuer tous pour avoir prié le
Veau d'Or. Dans un plaidoyer brillant, le plus grand prophète
d'Israël, Moïse, parvient à éviter l'extinction. Dieu a réduit
la peine de mort à 40 ans d'errance dans le désert.
Aujourd'hui, les signes avant-coureurs
du désastre sont renforcés par des hypothèses, des modèles et des
données. La fonte des glaces fera monter le niveau de la mer,
avalant les côtes et les îles. Ce que les inondations épargnent
sera dévasté par des sécheresses ou des ouragans. Le signe le plus
récent, vu d'en haut, est le ciel obscurci au-dessus des forêts
tropicales humides de l'Amazonie, les " poumons du monde ",
qui présage la mort collective par asphyxie. Pour la première
mouture de cette menace, il suffit de revenir à Apocalypse 6:13 :
"Le soleil devint noir, et la lune entière devint comme du
sang."
Alors qu'Ésaïe 3:14 tonitrue : "
Vous avez dévoré la vigne, et le butin des pauvres est dans vos
maisons ", les prophètes climatiques d'aujourd'hui visent
l'exploitation du Tiers Monde par l'Occident riche. Ainsi, " le
Seigneur leur enlèvera leurs parures, les bracelets de cheville et
les bandeaux " (Esaïe 3, 18). Et " devant moi, tout genou
fléchira " (Esaïe 45:23).
Troisièmement, si vous " vous
repentez et croyez " (Marc 1:15), Armageddon cédera à l'espoir
et au salut. Mais la délivrance exige un sacrifice, une idée qui
remonte aux premiers jours de l'humanité. Vous pouviez autrefois
expier vos péchés en enterrant vos babioles. Aujourd'hui, vous
devez échanger vos voitures contre des vélos. Cessez de vous gaver
de viande dont la production détruit les forêts et empoisonne
l'atmosphère avec du méthane. Réduisez votre empreinte carbone en
utilisant le train au lieu de l'avion. Abandonnez le plastique au
profit de sacs de courses tricotés à la main. Baissez le thermostat
et payez un prix pour les émissions de CO2. Une telle taxe a du sens
sur le plan économique en donnant un prix de marché au gaspillage,
mais on ne peut s'empêcher de se rappeler les indulgences condamnées
par un autre prophète, Martin Luther, au 16e siècle.
Bien sûr, la foi n'a rien à voir avec
les sciences de la terre. Le dernier rapport du GIEC (2018), rédigé
par des sommités dans ce domaine, ressemble au modèle même de la
recherche scientifique. Il compte 618 pages et regorge de graphiques,
de mathématiques et de séries chronologiques. Étant donné la
densité du langage académique, il est douteux que quiconque, à
part les correcteurs, ait lu le tome dans son intégralité.
Il n'est pas non plus nécessaire de
suivre toute la démonstration pour arriver à une vérité
fondamentale - une vérité régulièrement ignorée par les médias,
avec leur penchant à transformer le "pourrait être" en
"est" et le "pourrait arriver" en "arrivera".
Pour notre propos, il suffit de lire les 24 pages du "Résumé
pour les décideurs". Il est précédé d'une devise tirée du
livre pour enfants de l'auteur français bien-aimé Antoine de St.
Exupéry, qui donne le ton : Le rapport traite du salut mais il est
écrit dans le langage de la science. La citation se lit comme suit :
"Quant à l'avenir, la tâche n'est pas de le prévoir, mais de
le rendre possible."
Le langage des climatologues, axé sur
les données, est plus timide que le tonnerre des Prophètes. Esaïe,
Jérémie et autres ne mâchent pas leurs mots quand ils annoncent la
mort et la damnation. Si vous ne vous repentez pas, Dieu frappera.
Vous subirez un châtiment infernal. Vous périrez. Les auteurs du
"Résumé" du GIEC se couvrent derrière leurs paris. "
On estime que les activités humaines ont causé environ 1,0°C de
réchauffement climatique " (c'est nous qui soulignons). "Il
est probable qu'il atteigne 1,5°C entre 2030 et 2052 s'il continue à
augmenter" (souligné dans l'original). Le réchauffement
climatique anthropique est encore une fois " estimé "
comme étant tel et tel. Les phénomènes météorologiques extrêmes
sont expliqués par des " études factorielles ", ce qui
donne à penser que les auteurs ne sont pas sûrs qu'une variable en
entraîne une autre, mais ils proposent des évaluations
probabilistes. Les émissions anthropiques " ne sont pas
susceptibles de provoquer à elles seules un réchauffement de la
planète de 1,5 °C " (souligné dans l'original). (Notons que
les médias sont à l'aise de brandir le chiffre de 2 ou même 4
degrés). Les risques ne sont pas certains, selon le rapport, mais
dépendent de toutes sortes de facteurs, tels que " le taux de
réchauffement, la situation géographique, les niveaux de
développement et la vulnérabilité ". Donc si X monte, comme
on le suppose, alors Y et Z pourraient suivre.
Le langage utilisé ici est semblable à
celui utilisé dans les rapports du National Intelligence Council sur
les diverses menaces géostratégiques auxquelles font face les
États-Unis. Ces rapports sont parsemés de conditionnels et de
subjonctifs, d'estimations et de projections. Dans le jargon, cette
technique est appelée " couvrir ses arrières ", ce qui
est en fait approprié et prudent pour les responsables du
renseignement comme pour les scientifiques. Les humains, après tout,
ne sont pas doués pour la prévoyance. Hélas, ces règles de
prudence ne régissent pas le discours public, où règne plutôt le
dicton de Saint-Exupéry : L'enjeu n'est pas de prédire l'avenir
mais de le rendre possible.
Une utilisation sensée du conditionnel
ne transparaît pas non plus dans l'évangile de Greta Thunberg. Elle
fait pire que les Prophètes en se passant du cadre du " si,
alors " et en affirmant que le malheur est déjà sur nous.
C'est ce qu'elle a dit à ses disciples lors de la grève du climat à
New York en septembre : "Notre maison brûle", ici et
maintenant. Jérémie a donné à Israël un peu plus de marge de
manœuvre.
Certes, l'exagération aide quand on
sert une bonne cause. Mais les conditionnements ne suffisent pas
alors que les démocrates ont proposé un " New Deal vert "
qui coûte de 50 à 90 billions de dollars au cours de la prochaine
décennie pour éviter une catastrophe mondiale. Les politiciens qui
se présentent à l'investiture du parti cherchent à surenchérir
les uns sur les autres, et le Saint Évangile l'emporte donc sur les
questions budgétaires.
Les agnostiques pourraient mettre en
doute la cohérence du Climatisme. Il faut un effort considérable
pour expliquer pourquoi Dieu permet le mal. De même, comment le
climat peut-il expliquer des phénomènes opposés tels que les
pluies et les sécheresses, trop et trop peu de neige, les incendies
et les inondations ? Il ne faut pas s'inquiéter. Si la théorie A ne
fonctionne pas, alors ajoutons B et C. Mais de soulever simplement
des doutes, c'est faire preuve de naïveté, de stupidité, ou de
"déni". On ne chicane pas avec un Dieu vengeur qui doit
être apaisé.
Et ceux qui ne fléchissent pas les
genoux ? Il faut leur faire comprendre que ce n'est pas le moment
d'ignorer les mauvaises nouvelles. Car même si nous ne savons pas ce
qui attend la planète, le principe de précaution exige prudence et
assurance. Mieux vaut être bon qu'inconscient. Mieux vaut agir comme
un propriétaire conscient des risques qui ne peut pas savoir si et
quand sa maison risque de partir en flammes. Il achètera quand même
une police d'assurance, et avec raison. Mais la prévoyance ne doit
pas se traduire par un chèque en blanc pour se prémunir contre
toutes les prédictions, si minces soient-elles.
Il est essentiel d'empêcher la peur et
la foi de diviser le monde en disciples et en hérétiques. "Je
suis plus saint que toi" n'est pas un argument convaincant. Si
le climat l'emporte dans la conversation publique, le monde ne
deviendra pas plus intelligent. Inspiré par Aristote et David Hume,
le philosophe des sciences Karl Popper a écrit : " Toutes
les théories sont des hypothèses ; toutes peuvent être renversées.
Le jeu de la science n'a pas de fin. Ceux qui décident que les
propositions scientifiques sont définitives se retirent du jeu ",
laissant derrière eux " la pseudo-science ou la foi ".
Le réchauffement est-il progressif ?
Ou est-il cyclique, comme dans le passé lointain ? Pendant des
centaines de milliers d'années, un réchauffement a suivi
régulièrement les périodes glaciaires. Les historiens du climat
affirment que chaque hausse de température s'accompagnait d'une
augmentation précipitée du CO2 atmosphérique. Mais qu'est-ce qui
est arrivé en premier ? Le CO2 a-t-il fait monter les températures
ou le réchauffement a-t-il fait augmenter le niveau de CO2 ? Si
c'est le cas, le CO2 produit par l'homme ne pourrait pas tout à fait
expliquer le réchauffement d'aujourd'hui, car il n'y avait pas
beaucoup de cheminées de fumée et de gaz qui crachaient il y a des
lustres. Envisagez une autre hypothèse : Si le réchauffement n'est
pas anthropique, alors il ne serait peut-être pas opportun de
boucher tous les puits de pétrole, de fermer toutes les mines de
charbon, et d'abattre toutes les vaches produisant du méthane tout
en couvrant la terre de panneaux solaires et d'éoliennes.
De plus, les adeptes du Climatisme
considèrent rarement les contreparties qui découlent de leurs
solutions. Des voitures électriques au lieu de véhicules
conventionnels ? La fabrication et l'élimination des batteries de
voiture ne sont pas exactement écologiques. Outre le fait qu'elles
détruisent le paysage, les pales des éoliennes tuent les oiseaux et
les insectes qui pollinisent les arbres fruitiers. Devenir végan est
bon pour les bovins (et peut-être aussi pour les humains), mais il
faudrait abattre des forêts pour faire de la place à des millions
d'acres de terres cultivées - et pas d'engrais synthétiques, s'il
vous plaît. Quels sont les effets sur le bien-être lorsque des
subventions massives pour l'énergie solaire augmentent les prix de
l'électricité, qui pèsent plus lourdement sur les pauvres ? La foi
peut déplacer des montagnes, mais la politique est une question de
coûts et de conséquences.
Mentionner de telles questions n'est
pas une renonciation - des diagnostics différents viennent avec des
prescriptions différentes. Si le CO2 produit par l'homme est le
principal responsable du changement climatique, alors il vaut la
peine d'investir dans une politique agressive et globale pour relever
ce défi urgent - et d'amener la Chine et l'Inde à faire de même.
Mais n'oubliez pas que 50 billions de dollars, l'estimation la plus
basse pour le Green New Deal, est de 30 billions de dollars de plus
que le PIB actuel de l'Amérique. Si le CO2 produit par l'homme n'est
pas le malfaiteur suprême, comme il n'aurait pas pu l'être pendant
la période préindustrielle du réchauffement médiéval, alors les
ressources limitées sont mieux utilisées pour les digues, les
arbres et les cultures résistant à la chaleur.
Karl Popper avait un argument
incontestable : La science n'est jamais un livre fermé. Une seule
chose est sûre. La foi, comme Martin Luther l'a prêché, est une
"puissante forteresse". Une certitude inébranlable bloque
la recherche incessante - ce qui vaut pour les deux parties.
1 La presse internationale en a
largement fait état en 2007. Le promoteur de l'hôtel Gaia a alors
fait marche arrière, insistant sur le fait que le personnel avait
oublié de fournir des Bibles dans sa hâte de préparer la grande
ouverture. Par la suite, les Bibles sont allées sur les tables de
nuit avec le livre de Gore.
Josef Joffe fait partie du conseil de
rédaction de l'hebdomadaire Die Zeit et est membre de la Hoover
Institution de Stanford.