samedi 21 avril 2018

Réponses au Loup





- Éléments de réponses au sujet des loups en France -






« Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » Einstein




Une coadaptation élevage-loup est un défi difficile, symbolique de notre époque de changements à tous les niveaux.
Comment protéger les troupeaux dans les conditions actuelles et par la suite, il n’y a donc rien de mieux à faire ?

Bien sûr il n’y a pas de solutions miracles, mais la présence humaine et les chiens de protection réduisent les prédations, ce n’est pas négligeable même si ça entraine d’autres problèmes à gérer.

Pourquoi ne pas créer des « brigades pastorales » par exemple, avec le soutien des administrations concernées (il y a bien des « brigades loups »), où des personnes formées et rémunérées d’une manière ou d’une autre auraient pour mission d’aider les éleveurs ?

En s’inspirant de ce qu’on fait à Pastoraloup [programme de soutien au pastoralisme en zones à loups de Ferus, association pour la conservation des grands prédateurs en France], qui a des résultats remarquables à un niveau réduit, mais sans idéologie, avec simplement la volonté de donner un sérieux coup de main aux éleveurs et aux bergers impactés par les loups…

Tout ça est très complexe. Les loups déjouent tout ce qu’on peut leur mettre en travers, ce qui réduit tout de même plus ou moins le nombre de victimes de leurs attaques ponctuelles, alors que ça complique le travail des éleveurs et des bergers. Mais il doit y avoir des solutions à trouver avec des gens de bonne foi, car quoi qu’on décide les loups sont là pour longtemps. Le nier ou le refuser n’y change rien. Y faire face avec tous les moyens disponibles, même s’ils sont insuffisants actuellement, vaut mieux que le contraire, ça me parait logique. Mais même en faisant beaucoup plus de tirs de prélèvement le problème ne sera pas réglé, il y aura encore et toujours des loups…

J’ai des doutes quant à la mise en place des tirs. Ce qui existe actuellement n’est satisfaisant pour personne. Il faut à mon avis des tirs de défense sûrement, des tirs de prélèvement à proximité des troupeaux aussi. Mais quelles règles, en fonction de quels critères ?
Jusqu’où ira-t-on, jusqu’où ira notre civilisation, dont une caractéristique est de supprimer tout ce qui dérange ? Avec pour résultat à la clé sa propre élimination ?..

C’est vrai que pour le moment ce sont surtout les petits éleveurs de montagne qui se sentent menacés par leur propre disparition, à cause d’un contexte que le loup empire.
L’ambiance a changé dans les montagnes des Alpes en particulier depuis le retour des loups, pour les éleveurs et les bergers bien sûr, mais aussi pour les randonneurs et autres en saisons d’estives surtout. Avant c’était plus tranquille : pas de chiens de protection, pas de fusils, moins de travail, de stress etc. Dans le même temps beaucoup de choses ont changé plus ou moins partout à tous les niveaux dans le monde. C’est du passé, qu’on peut regretter mais qui ne reviendra plus. 

Les choix sont assez restreints : S’adapter ou alors disparaitre.
Pour s’adapter il ne s’agit pas de savoir si c’est bien ou mal, mais comment.

La régulation des populations de loups est une solution à étudier de près, qui ne règlera pas tous les problèmes que pose la présence de loups pour l’élevage d’animaux domestiques.
Il faut donc encore mieux protéger les troupeaux (les mesures prises jusqu’ici sont des tentatives insatisfaisantes qui demandent plus d’expériences). Le défaitisme consiste à dire que tout a été tenté et que plus rien n’est possible. Ce n’est pas vrai. En unissant toutes les bonnes volontés on doit pouvoir arriver à faire face au monde tel qu’il est  maintenant. Le choix est entre nos mains, dans nos tripes et nos consciences…
Quoi qu'il se passe dans les années prochaines vis-à-vis des loups en France, il faudra faire avec ! Il y a des progrès à faire au niveau des moyens de protection et d'effarouchement. Ce ne sera jamais efficace à 100% mais ça permet d'avoir beaucoup moins de pertes. Plus de travail et de contraintes bien sûr, qui doivent être mieux prises en compte.

Sinon, quelle peut être la solution, à part de décider d'éradiquer toute présence de loups ? Et même dans ce cas, très peu probable, ce n'est pas demain la veille qu'on pourrait s'en débarrasser, d'autant plus que les loups reviendraient depuis les autres pays.
Donc on régule, on tue, on élimine, jusqu'où ? Il y aura toujours des loups qui poseront problème. Je suis d'accord pour qu'il y ait un contrôle sérieux des populations de loups, probablement plus importantes que le nombre officiel déclaré, mais d'une manière ou d'une autre il faut aussi développer des mesures de protection plus efficaces et mieux prises en charge (pour tous les éleveurs, ovins, caprins, bovins, équins et autres).

En étant plus offensifs vis-à-vis des loups, ceux-ci se méfieront plus mais ça ne changera pas leur comportement de prédateur qui se sert dans l'élevage domestique de temps en temps. Moins d'attaques s'il y en a moins c'est probable mais ce n'est même pas tout à fait certain.
Des meutes déséquilibrées ont plus tendance à attaquer les proies les plus faciles, les animaux domestiques en particulier, et en tout cas c'est le comportement des loups erratiques (il y en aura encore plus venant de meutes éclatées). Chez nous dans le Massif des Monges ça fait environ vingt ans qu'il y a des loups (première Zone de Présence Permanente reconnue en dehors du Parc National du Mercantour), or il y a moins d'attaques maintenant du fait semble t-il que les meutes sont bien établies et moins spécialisées sur les animaux domestiques, c'est en partie ce qu'on peut en déduire. Les tirs y ont probablement contribué aussi, mais nul ne sait à quel niveau.

Comment éliminer ceux qui s'approchent des troupeaux ou des habitations, comme certains le préconisent ? Chez nous ils sont partout. D'ailleurs une nuit de l’hiver dernier un groupe a hurlé pendant plusieurs heures en face de notre maison, à deux cent mètres ! Une autre nuit il y en avait trois qui se suivaient sur la route en bas de chez nous vers 22h30. On les voit régulièrement sur nos routes etc. En fait il faudrait quasiment tuer tous les loups dans les Alpes de Haute Provence pour bien faire. Et c'est certainement ce que demanderont petit à petit les éleveurs si on va dans ce sens.

Donc si on ne veut pas supprimer tous les loups en France, en plus d'une attitude plus offensive vis-à-vis de ceux-ci c'est la protection des troupeaux qui peut faire une grande différence. Il est parfois nécessaire qu'il y ait plus de chiens de protection, mais c'est surtout leur éducation et leur efficacité qui est à améliorer. Le savoir-faire en France en est à ses débuts, il y a encore beaucoup à apprendre, sans oublier le public à éduquer à ce sujet dans le même temps.

Concernant l’hybridation, il serait judicieux d’attendre les résultats d’une confrontation entre les résultats des labos ForGen en Allemagne et Antagène en France avant de passer d’une extrême à l’autre (de ‘tous les loups en France sont d’origine italienne venus naturellement’ à ‘tous les loups en France sont des hybrides introduits clandestinement’). La vérité est très probablement mitigée, la part d’un retour naturel étant sans doute prédominante.
Il se passera un certain temps avant que des loups en France soient éventuellement reconnus officiellement comme étant plus ou moins issus de mélanges particulièrement obscurs. Et encore plus pour en arriver à faire accepter leur élimination si c’est possible. 

La protection des troupeaux reste donc incontournable, il faut continuer à mettre en place les moyens de réduire les prédations et à les améliorer. Ils ne sont pas et ne seront probablement jamais complètement efficaces, ils imposent des contraintes et du travail supplémentaires, entrainent des conséquences plus ou moins négatives sur l'environnement, mais c'est quand même mieux que rien pour le moment et sans doute pour longtemps, en tout cas dans les montagnes des Alpes.

Il n’est pas juste de dire que les loups ne sont que calamité pour la faune sauvage. S’il est certain que les populations d’ongulés sont très impactées, surtout lorsqu’une meute s’installe et s’agrandit, petit à petit leurs effectifs s’adaptent (plus rapides, beaucoup plus discrets, moins nombreux en groupe) et repartent plus ou moins à la hausse (sans revenir cependant à leur taux initial).
C’est notamment le cas des mouflons, comme j’ai pu le constater avec mes pièges-photos et mes observations, par exemple en juin 2016 avec les stagiaires en formation de Patoraloup. Je les ai emmenés sur les crêtes du Sommet des Monges où durant la journée nous avons compté une bonne centaine de mouflons. Dans un coin où on dit qu’il n’y en a plus, alors qu’avant on disait qu’il y en avait trop, cherchez l’erreur.
D’après ce que je sais c’est la même situation au moins dans le Queyras, où les loups sont présents depuis bien longtemps aussi. D’autre part si les mouflons ont disparu des secteurs de haute montagne c’est dû à la neige surtout, pour laquelle ils ne sont pas adaptés.

Plus de présence humaine autant que possible est nécessaire aussi. Pas besoin d'une meute de 15 chiens et d'une escouade de 4 bergers : 5/6 chiens bien formés et complémentaires et un berger plus aide-berger qui se relaient entre jour et nuit sont généralement suffisants pour un troupeau de 1500 têtes en alpages, à mon avis.

Les clôtures fixes en vallées peuvent être beaucoup plus efficaces, comme celles que Pastoraloup a mises en place chez des éleveurs. Aucune prédation dans ces parcs (grillage + 3 fils) depuis environ 8 ans que les premiers ont été réalisés au sein de territoires de meutes.

Les moyens d'effarouchement sont loin d'être satisfaisants, mais qui peut dire qu'aucun dispositif ne pourra jamais fonctionner, avec les avancées technologiques actuelles ?

Tout ça impose des contraintes, demande des moyens, du temps, du travail et de la volonté. Des éleveurs ont fait le choix de s'adapter et s'en sortent plutôt bien. Ce n’est certes pas facile.
En résumé, on ne pourra pas se débarrasser du problème du loup, même s'il est amoindri en facilitant les tirs létaux. On peut le rendre moins pénible avec des moyens de protection et d'effarouchement adaptés. 

Cependant c'est la politique agricole actuelle qui doit aussi changer, imposant la quantité au détriment de la qualité, alors même qu'il est impossible de vivre de son travail d'éleveur dans le contexte actuel sans activité complémentaire, ou/et primes et autres subventions...

Et pour éviter d'avoir encore plus de monde favorable à un développement insoutenable des loups il faut communiquer d'une manière non-sectaire, non réductrice aux seules personnes qui en sont déjà persuadées. D'où un besoin d'ouverture, capable de trouver un écho chez des gens à priori 'pro-loups' mais qui comprennent l'intérêt du pastoralisme...

Pour que les choses soient claires : si les éleveurs veulent attirer plus de monde en soutien à leurs (légitimes) revendications, il vaut mieux quitter le mode du rejet méprisant et de la caricature si chers aux plus virulents des anti ou pro loups.

 Bref des moyens de protection sont nécessaires pour éviter des dégâts bien plus graves, et ils peuvent s’améliorer…

La réalité n'est pas noire ou blanche, elle est beaucoup plus complexe et nuancée que ça. Je suis par exemple pour une régulation du loup en France, sans être anti-loup, pas n’importe comment. Je suis pour que la faune sauvage ait une place dans notre civilisation, sans être pro-loup, pas à n’importe quel prix.
Position bien difficile à tenir je vous l’accorde. C’est tellement plus confortable de rentrer dans une case bien définie, de faire partie d’un camp qui nous entoure et nous donne un sentiment d’appartenance qui nous rassure.

À mon avis, le loup agit en quelque sorte comme un révélateur de nos déséquilibres, de ceux que nous avons provoqués dans la nature, tel un écho du prédateur qui est en chacun de nous.
Toute cette violence en nous qui veut exclure, supprimer ou asservir ce qui nous dérange, qui cherche à dévorer, à posséder sans retenue tout ce qui est à portée et au-delà.

S’il y a une chose dont je me sens responsable c’est avant tout de l’état actuel de cette planète, comme tout un chacun, par nos pensées, nos sentiments et nos actes qui alimentent ce qui nous unie ou ce qui nous divise.



A travers mon activité professionnelle indépendante de coordination-animation de Pastoraloup, je recherche des solutions sur le terrain avec des éleveurs qui sont capables de dépasser les clivages avec les ‘’pro-loups’’.
Cela permet d’apporter de l’aide aux éleveurs qui la demandent, tout en formant des personnes sans rien leur cacher de la réalité pour qu’ils se confrontent au terrain. Les échanges et les réalisations qui en découlent sont bénéfiques pour tous ceux qui y participent : d’un côté ça soulage les éleveurs et les bergers, d’un autre ça permet à des « pro-loups » de vivre la réalité de ce qui se passe vraiment, aux uns et aux autres de se connaitre et de mieux se comprendre, voire de changer plus ou moins de point de vue pour les bénévoles qui partent en missions de surveillance.
Je regrette que trop d’éleveurs soient complètement fermés à tout échange de ce genre, du fait que ce soit Ferus qui est l’instigateur du programme Pastoraloup. C’est pourquoi je pense qu’il faudrait mettre en place d’autres initiatives, en-dehors du parrainage d’associations de protection des grands prédateurs.
Que Ferus se serve de l’image que lui procure cette activité, c’est une évidence. Bien que je ne cautionne pas certaines de leurs lignes directrices idéologiques et politiques je fais avec ce qui existe en fonction de mes moyens…

Ce qui est certain c'est qu'avec la présence de bénévoles en surveillance de nuit les attaques disparaissent, sauf quelques très rares fois où les conditions les favorisent (par temps d’orage en général). Cependant il peut toujours y avoir des attaques limitées en journée.
Dans les cas de surveillance de jour (aide au berger pendant la conduite du troupeau), les attaques diminuent beaucoup, voire complètement, se cantonnant parfois à une prédation sur une bête isolée.
Pas d'études exhaustives chiffrées à ce sujet, simplement un retour d'expériences qui apporte l'évidence que des troupeaux qui subissaient de plus ou moins nombreuses attaques en sont quasi dépourvus, en tout cas celles-ci diminuent largement en nombre et en victimes avec une présence humaine plus importante.


La question qui reste est celle de savoir si et comment on pourrait étendre ces aides durant la nuit et/ou en journée...



Eric Vissouze

Avril 2018




"J'ai aligné mon propre profit sur celui des autres. Et cela a fait mon propre profit... C'est bizarre, non ? Parce que, voyez-vous, comme ça je peux avoir mon gâteau et le manger aussi. Je peux faire ce que je pense être le mieux pour moi, mais en même temps je peux faire ce qui est le mieux pour les autres. Et j'ai aussi défini ce qui est le mieux pour moi comme ce qui est en même temps le mieux pour les autres." Jordan Peterson

4 commentaires:

  1. Très étonnée que de tels propos si pertinents et raisonnables ne trouvent échos et commentaires;

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    1. Il faudrait diffuser ce texte, ce qui demande certaines compétences que je ne maîtrise pas...
      Merci pour votre appréciation !

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  2. Je partage complètement votre analyse de terrain et d'expérience, le chemin est encore long et périlleux mais il en vaut la peine ! Si seulement les pouvoirs publics et les syndicats pastoraux pouvaient comprendre que l'enjeux est là et qu'il faut s'unir pour avancer de manière constructive au lieu de donner dans des débats manichéens de pro ou anti, de blanc ou noir, de bien ou mal amenant à des réactions virulentes...

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    1. Il y a encore du chemin à faire !
      Déjà avancer avec celles et ceux qui comprennent...

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