- Éléments de réponses au sujet des loups en France -
« Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » Einstein
Une coadaptation élevage-loup est un défi difficile, symbolique de notre
époque de changements à tous les niveaux.
Comment protéger
les troupeaux dans les conditions actuelles et par la suite, il n’y a donc rien
de mieux à faire ?
Bien sûr il n’y a pas de solutions miracles, mais la présence humaine et
les chiens de protection réduisent les prédations, ce n’est pas négligeable
même si ça entraine d’autres problèmes à gérer.
Pourquoi ne pas créer des « brigades pastorales » par exemple,
avec le soutien des administrations concernées (il y a bien des « brigades
loups »), où des personnes formées et rémunérées d’une manière ou d’une
autre auraient pour mission d’aider les éleveurs ?
En s’inspirant de ce qu’on fait à Pastoraloup [programme de soutien au pastoralisme en
zones à loups de Ferus, association pour la conservation des grands prédateurs
en France], qui a des résultats remarquables à un niveau réduit, mais sans
idéologie, avec simplement la volonté de donner un sérieux coup de main aux
éleveurs et aux bergers impactés par les loups…
Tout ça est très complexe. Les loups déjouent tout ce qu’on peut leur
mettre en travers, ce qui réduit tout de même plus ou moins le nombre de
victimes de leurs attaques ponctuelles, alors que ça complique le travail des
éleveurs et des bergers. Mais il doit y avoir des solutions à trouver avec des
gens de bonne foi, car quoi qu’on décide les loups sont là pour longtemps. Le
nier ou le refuser n’y change rien. Y faire face avec tous les moyens
disponibles, même s’ils sont insuffisants actuellement, vaut mieux que le
contraire, ça me parait logique. Mais même en faisant beaucoup plus de tirs de
prélèvement le problème ne sera pas réglé, il y aura encore et toujours des
loups…
J’ai des doutes
quant à la mise en place des tirs. Ce qui existe actuellement n’est satisfaisant
pour personne. Il faut à mon avis des tirs de défense sûrement, des tirs de
prélèvement à proximité des troupeaux aussi. Mais quelles règles, en fonction
de quels critères ?
Jusqu’où ira-t-on,
jusqu’où ira notre civilisation, dont une caractéristique est de supprimer tout
ce qui dérange ? Avec pour résultat à la clé sa propre élimination ?..
C’est vrai que pour
le moment ce sont surtout les petits éleveurs de montagne qui se sentent
menacés par leur propre disparition, à cause d’un contexte que le loup empire.
L’ambiance a changé
dans les montagnes des Alpes en particulier depuis le retour des loups, pour
les éleveurs et les bergers bien sûr, mais aussi pour les randonneurs et autres
en saisons d’estives surtout. Avant c’était plus tranquille : pas de chiens de
protection, pas de fusils, moins de travail, de stress etc. Dans le même temps
beaucoup de choses ont changé plus ou moins partout à tous les niveaux dans le
monde. C’est du passé, qu’on peut regretter mais qui ne reviendra plus.
Les choix sont assez restreints : S’adapter ou alors disparaitre.
Pour s’adapter il ne s’agit pas de savoir si c’est bien ou mal, mais
comment.
La régulation des populations de loups est une solution à étudier de près, qui ne règlera pas tous les problèmes que pose la présence de loups pour l’élevage d’animaux domestiques.
Il faut donc encore mieux protéger les troupeaux (les mesures prises
jusqu’ici sont des tentatives insatisfaisantes qui demandent plus d’expériences).
Le défaitisme consiste à dire que tout a été tenté et que plus rien n’est
possible. Ce n’est pas vrai. En unissant toutes les bonnes volontés on doit
pouvoir arriver à faire face au monde tel qu’il est maintenant. Le choix est entre nos mains,
dans nos tripes et nos consciences…
Quoi qu'il se passe
dans les années prochaines vis-à-vis des loups en France, il faudra faire avec ! Il y a des progrès à faire au niveau des moyens de protection et d'effarouchement. Ce ne sera jamais efficace à 100% mais ça
permet d'avoir beaucoup moins de pertes. Plus de travail et de contraintes bien
sûr, qui doivent être mieux prises en compte.
Sinon, quelle peut
être la solution, à part de décider d'éradiquer toute présence de loups ? Et
même dans ce cas, très peu probable, ce n'est pas demain la veille qu'on
pourrait s'en débarrasser, d'autant plus que les loups reviendraient depuis les
autres pays.
Donc on régule, on
tue, on élimine, jusqu'où ? Il y aura toujours des loups qui poseront problème.
Je suis d'accord pour qu'il y ait un contrôle sérieux des populations de loups,
probablement plus importantes que le nombre officiel déclaré, mais d'une
manière ou d'une autre il faut aussi développer des mesures de protection plus
efficaces et mieux prises en charge (pour tous les éleveurs, ovins,
caprins, bovins, équins et autres).
En étant plus
offensifs vis-à-vis des loups, ceux-ci se méfieront plus mais ça ne changera
pas leur comportement de prédateur qui se sert dans l'élevage domestique de
temps en temps. Moins d'attaques s'il y en a moins c'est probable mais ce n'est
même pas tout à fait certain.
Des meutes
déséquilibrées ont plus tendance à attaquer les proies les plus faciles, les
animaux domestiques en particulier, et en tout cas c'est le comportement des
loups erratiques (il y en aura encore plus venant de meutes éclatées). Chez
nous dans le Massif des Monges ça fait environ vingt ans qu'il y a des loups
(première Zone de Présence Permanente reconnue en dehors du Parc National du
Mercantour), or il y a moins d'attaques maintenant du fait semble t-il que les
meutes sont bien établies et moins spécialisées sur les animaux domestiques, c'est
en partie ce qu'on peut en déduire. Les tirs y ont probablement contribué
aussi, mais nul ne sait à quel niveau.
Comment éliminer ceux
qui s'approchent des troupeaux ou des habitations, comme certains le
préconisent ? Chez nous ils sont partout. D'ailleurs une nuit de l’hiver dernier
un groupe a hurlé pendant plusieurs heures en face de notre maison, à deux cent
mètres ! Une autre nuit il y en avait trois qui se suivaient sur la route en
bas de chez nous vers 22h30. On les voit régulièrement sur nos routes etc. En
fait il faudrait quasiment tuer tous les loups dans les Alpes de Haute Provence
pour bien faire. Et c'est certainement ce que demanderont petit à petit les
éleveurs si on va dans ce sens.
Donc si on ne veut
pas supprimer tous les loups en France, en plus d'une attitude plus offensive vis-à-vis
de ceux-ci c'est la protection des troupeaux qui peut faire une grande
différence. Il est parfois nécessaire qu'il y ait plus de chiens de protection,
mais c'est surtout leur éducation et leur efficacité qui est à améliorer. Le
savoir-faire en France en est à ses débuts, il y a encore beaucoup à apprendre,
sans oublier le public à éduquer à ce sujet dans le même temps.
Concernant l’hybridation, il serait judicieux d’attendre
les résultats d’une confrontation entre les résultats des labos ForGen en
Allemagne et Antagène en France avant de passer d’une extrême à l’autre (de
‘tous les loups en France sont d’origine italienne venus naturellement’ à ‘tous
les loups en France sont des hybrides introduits clandestinement’). La vérité
est très probablement mitigée, la part d’un retour naturel étant sans doute
prédominante.
Il se passera un certain temps avant que des loups en
France soient éventuellement reconnus officiellement comme étant plus ou moins issus
de mélanges particulièrement obscurs. Et encore plus pour en arriver à faire
accepter leur élimination si c’est possible.
La protection des troupeaux reste donc incontournable, il
faut continuer à mettre en place les moyens de réduire les prédations et à les
améliorer. Ils ne sont pas et ne seront probablement jamais complètement
efficaces, ils imposent des contraintes et du travail supplémentaires,
entrainent des conséquences plus ou moins négatives sur l'environnement, mais
c'est quand même mieux que rien pour le moment et sans doute pour longtemps, en
tout cas dans les montagnes des Alpes.
Il n’est pas juste de dire que les loups ne sont que
calamité pour la faune sauvage. S’il est certain que les populations d’ongulés
sont très impactées, surtout lorsqu’une meute s’installe et s’agrandit, petit à
petit leurs effectifs s’adaptent (plus rapides, beaucoup plus discrets, moins
nombreux en groupe) et repartent plus ou moins à la hausse (sans revenir cependant
à leur taux initial).
C’est notamment le cas des mouflons, comme j’ai pu le
constater avec mes pièges-photos et mes observations, par exemple en juin 2016
avec les stagiaires en formation de Patoraloup. Je les ai emmenés sur les
crêtes du Sommet des Monges où durant la journée nous avons compté une bonne
centaine de mouflons. Dans un coin où on dit qu’il n’y en a plus, alors
qu’avant on disait qu’il y en avait trop, cherchez l’erreur.
D’après ce que je sais c’est la même situation au moins
dans le Queyras, où les loups sont présents depuis bien longtemps aussi. D’autre
part si les mouflons ont disparu des secteurs de haute montagne c’est dû à la
neige surtout, pour laquelle ils ne sont pas adaptés.
Plus de présence
humaine autant que possible est nécessaire aussi. Pas besoin d'une meute de 15
chiens et d'une escouade de 4 bergers : 5/6 chiens bien formés et
complémentaires et un berger plus aide-berger qui se relaient entre jour et
nuit sont généralement suffisants pour un troupeau de 1500 têtes en alpages, à
mon avis.
Les clôtures fixes
en vallées peuvent être beaucoup plus efficaces, comme celles que Pastoraloup a
mises en place chez des éleveurs. Aucune prédation dans ces parcs (grillage + 3
fils) depuis environ 8 ans que les premiers ont été réalisés au sein de
territoires de meutes.
Les moyens
d'effarouchement sont loin d'être satisfaisants, mais qui peut dire qu'aucun
dispositif ne pourra jamais fonctionner, avec les avancées technologiques
actuelles ?
Tout ça impose des
contraintes, demande des moyens, du temps, du travail et de la volonté. Des
éleveurs ont fait le choix de s'adapter et s'en sortent plutôt bien. Ce n’est certes
pas facile.
En résumé, on ne
pourra pas se débarrasser du problème du loup, même s'il est amoindri en
facilitant les tirs létaux. On peut le rendre moins pénible avec des moyens de
protection et d'effarouchement adaptés.
Cependant c'est la politique
agricole actuelle qui doit aussi changer, imposant la quantité au détriment de
la qualité, alors même qu'il est impossible de vivre de son travail d'éleveur dans
le contexte actuel sans activité complémentaire, ou/et primes et autres
subventions...
Et pour éviter d'avoir encore plus de monde favorable à un
développement insoutenable des loups il faut communiquer d'une manière
non-sectaire, non réductrice aux seules personnes qui en sont déjà persuadées.
D'où un besoin d'ouverture, capable de trouver un écho chez des gens à priori
'pro-loups' mais qui comprennent l'intérêt du pastoralisme...
Pour que les choses soient claires : si les éleveurs
veulent attirer plus de monde en soutien à leurs (légitimes) revendications, il
vaut mieux quitter le mode du rejet méprisant et de la caricature si chers aux
plus virulents des anti ou pro loups.
Bref des moyens de protection sont nécessaires pour éviter
des dégâts bien plus graves, et ils peuvent s’améliorer…
La réalité n'est pas noire ou blanche, elle est beaucoup
plus complexe et nuancée que ça. Je suis par exemple pour une régulation du
loup en France, sans être anti-loup, pas n’importe comment. Je suis pour que la
faune sauvage ait une place dans notre civilisation, sans être pro-loup, pas à
n’importe quel prix.
Position bien difficile à tenir je vous l’accorde. C’est
tellement plus confortable de rentrer dans une case bien définie, de faire
partie d’un camp qui nous entoure et nous donne un sentiment d’appartenance qui
nous rassure.
À mon avis, le loup agit en quelque sorte comme un
révélateur de nos déséquilibres, de ceux que nous avons provoqués dans la
nature, tel un écho du prédateur qui est en chacun de nous.
Toute cette violence en nous qui veut exclure, supprimer ou
asservir ce qui nous dérange, qui cherche à dévorer, à posséder sans retenue
tout ce qui est à portée et au-delà.
S’il y a une chose dont je me sens responsable c’est avant
tout de l’état actuel de cette planète, comme tout un chacun, par nos pensées,
nos sentiments et nos actes qui alimentent ce qui nous unie ou ce qui nous divise.
A travers mon
activité professionnelle indépendante de coordination-animation de Pastoraloup,
je recherche des solutions sur le terrain avec des éleveurs qui sont capables
de dépasser les clivages avec les ‘’pro-loups’’.
Cela permet
d’apporter de l’aide aux éleveurs qui la demandent, tout en formant des
personnes sans rien leur cacher de la réalité pour qu’ils se confrontent au
terrain. Les échanges et les réalisations qui en découlent sont bénéfiques pour
tous ceux qui y participent : d’un côté ça soulage les éleveurs et les bergers,
d’un autre ça permet à des « pro-loups » de vivre la réalité de ce
qui se passe vraiment, aux uns et aux autres de se connaitre et de mieux se
comprendre, voire de changer plus ou moins de point de vue pour les bénévoles
qui partent en missions de surveillance.
Je regrette que trop
d’éleveurs soient complètement fermés à tout échange de ce genre, du fait que
ce soit Ferus qui est l’instigateur du programme Pastoraloup. C’est pourquoi je
pense qu’il faudrait mettre en place d’autres initiatives, en-dehors du parrainage
d’associations de protection des grands prédateurs.
Que Ferus se serve de l’image que lui procure cette
activité, c’est une évidence. Bien que je ne cautionne pas certaines de leurs
lignes directrices idéologiques et politiques je fais avec ce qui existe en
fonction de mes moyens…
Ce qui est certain c'est qu'avec
la présence de bénévoles en surveillance de nuit les attaques disparaissent,
sauf quelques très rares fois où les conditions les favorisent (par temps
d’orage en général). Cependant il peut toujours y avoir des attaques limitées en
journée.
Dans les cas de surveillance de
jour (aide au berger pendant la conduite du troupeau), les attaques diminuent
beaucoup, voire complètement, se cantonnant parfois à une prédation sur une bête
isolée.
Pas d'études exhaustives
chiffrées à ce sujet, simplement un retour d'expériences qui apporte l'évidence
que des troupeaux qui subissaient de plus ou moins nombreuses attaques en sont
quasi dépourvus, en tout cas celles-ci diminuent largement en nombre et en
victimes avec une présence humaine plus importante.
La question qui reste est celle
de savoir si et comment on pourrait étendre ces aides durant la nuit et/ou en
journée...
Eric Vissouze
Avril 2018
"J'ai aligné mon propre profit sur celui des autres. Et cela a fait
mon propre profit... C'est bizarre, non ? Parce que, voyez-vous, comme ça je
peux avoir mon gâteau et le manger aussi. Je peux faire ce que je pense être le
mieux pour moi, mais en même temps je peux faire ce qui est le mieux pour les
autres. Et j'ai aussi défini ce qui est le mieux pour moi comme ce qui est en
même temps le mieux pour les autres." Jordan Peterson
Très étonnée que de tels propos si pertinents et raisonnables ne trouvent échos et commentaires;
RépondreSupprimerIl faudrait diffuser ce texte, ce qui demande certaines compétences que je ne maîtrise pas...
SupprimerMerci pour votre appréciation !
Je partage complètement votre analyse de terrain et d'expérience, le chemin est encore long et périlleux mais il en vaut la peine ! Si seulement les pouvoirs publics et les syndicats pastoraux pouvaient comprendre que l'enjeux est là et qu'il faut s'unir pour avancer de manière constructive au lieu de donner dans des débats manichéens de pro ou anti, de blanc ou noir, de bien ou mal amenant à des réactions virulentes...
RépondreSupprimerIl y a encore du chemin à faire !
SupprimerDéjà avancer avec celles et ceux qui comprennent...