mardi 31 mai 2022

Êtes-vous une machine ?


Le modèle de la machine est une métaphore omniprésente dans la science depuis 200 ans. Pourquoi ce modèle est-il si attrayant et comment alimente-t-il nos fantasmes transhumains ?

 Ma traduction d'un article de Winston Smith du 24 mai 2022 :


Au chapitre 12 de son livre The Matter With Things, Iain McGilchrist détruit élégamment le mythe selon lequel le monde vivant et organique ressemble à une machine. À l'aide de nombreux exemples de comportements qui ne ressemblent en rien à ceux d'une machine, McGilchrist démonte complètement l'idée que des organismes comme nous-mêmes, ou des cellules uniques d'ailleurs, ressemblent à une machine. Dans la seconde moitié du chapitre, il aborde les raisons pour lesquelles le modèle de la machine a été si omniprésent dans notre perception de presque tout.

Je pense qu'il s'agit d'une prise de conscience importante pour nous, car certains aspirent à un avenir transhumain et tentent de nous convaincre que c'est une bonne chose. Le programme transhumaniste consistant à associer l'homme à la machine n'a de sens que si l'homme est considéré comme un type de "machine" et l'ordinateur/le matériel informatique comme un autre type de machine, qui peut s'intégrer de manière transparente. Je ne doute pas que cela puisse être utile dans certains cas - les membres artificiels viennent à l'esprit - mais je doute de son bien-fondé lorsqu'il s'agit de faire "évoluer" la race humaine vers un hybride humain/machine (un cyborg). L'autre volet du rêve transhumaniste concerne la modification des gènes et la manipulation de notre génome à des fins d'"amélioration", de lutte contre les maladies et de longévité. Cela semble être de nobles objectifs, mais ils conçoivent l'ADN comme un programme informatique, alors que, comme nous allons le voir, il est bien plus différent et complexe que cela.


Mais indépendamment du transhumanisme, l'utilisation d'un modèle pour représenter une réalité qui est très différente du modèle est fortement limitée et entraîne un biais malsain. Les machines sont conçues de A à Z dans un but précis. L'utilité est fondamentale. La production, la productivité, le service, tout cela est fondamental pour le modèle. Comme nous le verrons plus loin, le monde du vivant, de l'organique, n'a rien d'une utilité, d'une machine, et devrait être conceptualisé d'une manière complètement différente. Un humain a plus en commun avec une rivière qu'avec un robot.


En quoi la biologie n'est-elle pas comme une machine ?

L'hémisphère gauche a une affinité avec la métaphore de la machine parce que les machines sont constituées de pièces distinctes, ne sont pas vivantes, ont une utilité et peuvent être manipulées et contrôlées - tous les aspects du monde abstrait auquel l'hémisphère gauche accorde la priorité. L'utilisation du modèle de la machine pour expliquer le monde a connu un grand succès depuis environ 200 ans, et ce pour une bonne raison. Ce modèle a permis à l'hémisphère gauche de dominer dans le domaine de la science et nous a donné d'incroyables pouvoirs de manipulation. Nous avons été en mesure de créer des technologies et de manipuler le monde comme jamais auparavant, parce que nous avons pu tout considérer comme une machine et reproduire ou synthétiser des choses à partir de cette compréhension. Cela se poursuit aujourd'hui, puisque nous utilisons les aspects mécaniques du cerveau (ou plutôt ce que nous pensons être mécanique) dans des réseaux neuronaux artificiels pour développer l'intelligence artificielle ou modifier les gènes pour améliorer les "machines" biologiques comme on mettrait à jour le système d'exploitation d'un ordinateur. La métaphore est fausse, comme nous le verrons plus loin, mais elle a néanmoins été un soutien crucial pour permettre de manipuler les substances organiques. 

Dans les sciences biologiques, le modèle de la machine a été le paradigme dominant tout au long de la modernité, et même lorsque la physique a abandonné le modèle de la machine à cause de la "mécanique" quantique, la biologie a continué à utiliser la métaphore des machines et des processus mécaniques (des bits reliés entre eux par un "mécanisme" de cause à effet). En fait, l'idée que les êtres vivants sont des machines est tellement ancrée qu'il est plutôt étrange de penser qu'ils pourraient être autre chose - tant la pensée de l'hémisphère gauche a été dominante dans ce domaine. Il semble que la biologie se soit ancrée au modèle mécaniste newtonien, ignorant le fait que la physique a évolué. Le spécialiste des sciences cognitives Donald Hoffman remarque :

- "Non seulement ils ignorent les progrès de la physique fondamentale, mais ils sont souvent catégoriques à ce sujet. Ils disent ouvertement que la physique quantique n'est pas pertinente pour les aspects du fonctionnement du cerveau qui sont impliqués dans la conscience... Ils ne profitent pas des découvertes et des percées incroyables de la physique. Ces connaissances sont là pour que nous les utilisions, et pourtant ma discipline dit : "Nous allons nous en tenir à Newton, merci. Nous resterons 300 ans en arrière dans notre physique"... Je ne pense pas que nous soyons des machines... En tant que réaliste conscient, je suppose que les expériences conscientes sont des éléments ontologiques primitifs, les composants les plus fondamentaux du monde. Je prétends que les expériences sont la vraie valeur du monde. Les expériences de la vie quotidienne - ma sensation réelle d'un mal de tête, mon goût réel du chocolat - c'est vraiment la nature ultime de la réalité." (Hoffman, 2016)

L'hémisphère gauche, si elle est laissée à elle-même, assimile à tort la métaphore à la réalité - car tout pour l'hémisphère gauche est abstraction, théorie, re-présentation, et non la chose ou le processus réel. La métaphore peut être utile jusqu'à un certain point, et l'a effectivement été comme nous l'avons dit, mais nous nous trouvons dans l'erreur lorsqu'elle devient dogmatique, lorsque la métaphore est confondue avec la réalité - le monde observé étant forcé de se conformer à la métaphore pour que tout ait un sens. Lorsque la biologie concerne des machines vivantes et que le biologiste, à l'instar d'un ingénieur travaillant avec des "codes" et des pièces, pense que la compréhension passe par la séparation en éléments séparés, alors nous avons perdu le sens de l'ensemble vivant, fluide et relationnel. Il semble que tout, en biologie, soit expliqué en tant que "mécanisme", tout en décrivant l'organisme dans un langage incompatible avec les processus mécanistes. 

- "Certains diront sans doute que ce langage n'est qu'une façon de parler, comme lorsque je dis que le moteur de ma voiture " galère" ou " rame" pour monter la côte en troisième vitesse. Mais ce n'est pas une réponse adéquate à l'omniprésence, à la portée et à l'inéluctabilité de ce langage - ou, plus significativement, à la nature des phénomènes qu'il est appelé à décrire." (McGilchrist, 2021, p. 433)

McGilchrist poursuit en suggérant qu'il existe six caractéristiques du langage utilisé par les biologistes pour décrire ce qu'ils voient et qui ne provient assurément pas de la métaphore de la machine. "Des références à (1) des processus activement coordonnés, exprimant un sentiment de (2) globalité, inextricablement lié à (3) des valeurs, (4) un sens et (5) un but - chacun menant séparément et ensemble, au phénomène de (6) réalisation de soi." (McGilchrist, 2021, p. 434)

Il se passe manifestement quelque chose en biologie qui dépasse le modèle de la machine et le langage qui vient d'être décrit le révèle. Le Dr Jon Lieff, neuropsychiatre, parle dans son livre, The Secret Language of Cells, des incroyables échanges et de la coordination qui se produisent entre les cellules et qui déterminent tous les aspects de la biologie. Les réponses adaptatives et spontanément créatives des cellules révèlent une sagesse qui ne ressemble en rien à celle de mon téléviseur "intelligent" ou de mon MacBook Pro. Des cellules comme les lymphocytes T du système immunitaire peuvent "garder la tête froide", pour ainsi dire, dans des situations qui nécessitent la coordination de nombreuses autres cellules, y compris les neurones, pour gérer une agression de manière intelligente - en répondant à la nouveauté d'une manière qui ne semble pas préprogrammée. Comme le résume le Dr Thomas Verny dans son discours sur les cellules, "nous pouvons conclure que les cellules de notre corps sont véritablement intelligentes et, en tant que telles, forment un substrat essentiel et nécessaire du vivant [embodied mind]." (Verny, 2021, p. 72)

Barbara McClintock, fondatrice de la cytogénétique, dans son discours d'acceptation du prix Nobel en 1984, a tenu des propos similaires sur le monde cellulaire :

- "Un mécanisme de détection doit être présent ... pour alerter la cellule d'un danger imminent ... la conclusion semble inéluctable que les cellules sont capables de détecter la présence dans leurs noyaux d'extrémités de chromosomes brisées et ensuite d'activer un mécanisme qui rassemblera et unira ces extrémités, l'une avec l'autre ... les dispositifs de détection et les signaux qui initient ces ajustements sont au-delà de notre capacité actuelle de compréhension. Un objectif pour l'avenir serait de déterminer l'étendue de la connaissance que la cellule a d'elle-même et comment elle utilise cette connaissance d'une manière "réfléchie" lorsqu'elle est exposée à un risque... Nous ne savons rien, cependant, de la manière dont la cellule détecte le danger et déclenche des réponses à celui-ci, qui sont souvent vraiment remarquables." (McClintock, 1984, pp. 749, 798, 801)

Cependant, le modèle de la machine persiste et est inculqué aux enfants, aux scientifiques et au grand public, de telle sorte que toute autre conception est tout simplement une hérésie.


Les organismes ne sont pas des machines

Dans son livre " The Selfish Gene " [Le gène égoïste], Richard Dawkins décrit les organismes comme des " machines de survie - des véhicules robots programmés aveuglément pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gènes ". La métaphore informatique de la "programmation" génétique est omniprésente dans les domaines de la biologie, donnant l'impression que le génome contient le plan directeur architectural du corps. Mais ce n'est pas le cas. Les gènes ne "font" pas une grande partie des choses que nous pensons qu'ils font :

- "On dit que les gènes sont "auto-réplicants", qu'ils exercent une "action génétique", qu'ils "fabriquent" des protéines, qu'ils sont "activés" ou "désactivés" par de l'ADN "régulateur". Mais rien de tout cela n'est vrai... L'ADN fait partie des molécules organiques les plus inertes et les moins réactives."(Lewontin, 2000, pp. xii-xiii)

Les systèmes biologiques ne sont pas des machines - McGilchrist détaille 8 points d'intérêt :


    1 . On-off

-  "...une machine est statique jusqu'à ce qu'elle soit mise en marche, et peut être arrêtée sans cesser d'exister. Les organismes... tout comme les chutes d'eau ou les tornades, n'ont pas d'interrupteur. L'existence même d'un organisme est, du début à la fin, un flux incessant de matière et d'énergie. S'il s'arrête, même pour un instant, cela signifie la mort immédiate." (McGilchrist, 2021, p. 443)

Comme toutes les choses qui existent dans le processus du vivant [flow], leur nature dynamique, comme pour le feu, ne peut être arrêtée et l'entité continue d'exister comme elle le fait. Je me demande, comme McGilchrist, si ce que nous faisons en anatomie, le découpage des formes vivantes en morceaux anatomiques, ne dénature pas l'importance du flux et des relations qui constituent la chose vivante. En biologie, les entités vivantes sont en devenir du fait de leur activité continue. La machine, en revanche, doit être construite avant d'être mise en mouvement - la chose et ses parties ont la priorité sur le processus et constituent donc une métaphore inadéquate, voire totalement trompeuse, des entités vivantes.

    2 . Mouvement versus immobilisme

Un ordinateur, posé sur votre bureau sans être branché, est dans un état proche de l'équilibre dynamique. Lorsque le courant est activé, les composants, statiques au préalable, s'animent de certaines manières, transmettant l'énergie à d'autres composants par des chaînes linéaires, jusqu'à ce que le courant soit à nouveau coupé et que l'état statique soit rétabli. Un organisme, cependant, est en perpétuel changement, avec échange de matière pendant le métabolisme (du grec 'metabole', qui signifie "changement"), flux constant de molécules qui le traversent, activité électrochimique continue. Ce qu'il faut expliquer, c'est comment l'organisme reste stable compte tenu de sa nature fluctuante. Le corps humain compte quelque 37,2 trillions de cellules, chacune effectuant plusieurs millions de réactions par seconde au sein de systèmes de rétroactions complexes avec d'autres cellules. Ce flux d'activité complexe et massif constitue l'organisme.

Quoi que ce soit d'autre que les organismes puissent être, ce que l'on ne peut nier au niveau ontologique, c'est qu'ils sont des flux métaboliques stables d'énergie et de matière. Les machines peuvent prendre part à divers processus, mais les organismes sont eux-mêmes des processus. Ce fait inéluctable doit constituer le point de départ de toute théorie relative à l'organisme. (Nicholson, 2018, p. 148)

McGilchrist cite une observation fascinante du biologiste Craig Holdrege sur la structure, ou la forme, des organismes découlant du flux, qui mérite d'être répétée ici :

- "Avant que le cœur n'ait développé des parois (septa) séparant les quatre chambres les unes des autres, le sang circule déjà en deux "courants" distincts dans le cœur. Le sang qui circule dans les parties droite et gauche du cœur ne se mélange pas, mais s'écoule et tourne en boucle l'un à côté de l'autre, tout comme les courants de halage dans un plan d'eau. Dans la "zone de calme" située entre les deux courants, le septum qui sépare les deux cavités se forme. Ainsi, le mouvement du sang donne les paramètres de la différenciation interne du cœur, tout comme le circuit du cœur redirige le flux sanguin." (Holdrege, 2002, p. 12)

Les organismes sont des systèmes ouverts qui échangent continuellement de l'énergie et de la matière avec leur environnement afin de maintenir un équilibre. Le maintien d'un "état d'équilibre" à faible entropie tout en effectuant ces échanges et en métabolisant, comme le font les organismes, est l'équilibre critique que tous les êtres vivants doivent atteindre pour persister et même proliférer.

L'homéostasie, ce processus de maintien de l'équilibre par le changement, peut sembler paradoxal pour l'hémisphère gauche, mais elle est au cœur de la vie biologique - deux forces s'opposant l'une à l'autre pour produire la stabilité. Même le fonctionnement du cerveau avec un équilibre des deux hémisphères est un exemple d'harmonie à travers des tendances opposées.

   3 . Non linéarité

Dans un mécanisme classique, il y a un processus causal linéaire - une séquence prédéterminée et prévisible d'événements, chaque étape étant prédéterminée par la précédente. Les systèmes biologiques ont tendance à évoluer en spirale avec des boucles récurrentes, des causes multiples avec des effets multiples, des facteurs concurrents qui s'influencent mutuellement, le tout d'une manière complexe non linéaire que nous ne comprenons pas entièrement. Comme une toile d'araignée, la tension exercée sur une partie de la toile modifiera la tension exercée sur toutes les autres parties de la toile de différentes manières. Le contexte est primordial - nous le disons depuis longtemps - et les systèmes biologiques ne peuvent pas être expliqués uniquement par des processus ascendants, mais aussi par des processus descendants et latéraux. Lorsqu'un organisme se développe, il ne s'agit pas d'une simple succession d'événements, mais de tout ce qui se passe en même temps et qui ne peut être réduit à une stricte description de ce qui se passe. Pour illustrer l'absurde complexité des voies de communication les plus simples dans les cellules, un groupe de chercheurs a relevé les interactions entre quatre enchainements en cinq étapes seulement. Ils ont constaté qu'il y avait 760 interactions positives et négatives, sans tenir compte d'une multiplicité d'autres effets intermédiaires. Et ceci non pas par étapes mais dans un déroulement indivisible. La spécificité de toute action au sein d'une cellule est difficile, voire impossible, à définir de manière absolue et les chercheurs ont décrit la multitude d'interactions comme étant "tout fait tout à tout" ("les processus imbriqués, réciproques et interpénétrés à une telle échelle montrent que les chaînes de causalité fournissent un aperçu limité des réponses cellulaires" - McGilchrist, 2021, p. 449) - ce qui n'est pas exactement la description précise et linéaire d'une "machine" que l'hémisphère gauche recherche.

   4 . Pas d'action à sens unique - peut-être même pas d'interaction ?

Les organismes font preuve d'action, d'interaction et de construction mutuelle dans une dynamique de cause à effet réciproque. Contrairement au modèle de la machine qui indique une direction dans l'action, une chose agissant sur une autre dans une progression linéaire. Lorsqu'un organisme interagit avec son environnement, les deux changent. Par exemple, le génome change en fonction des conditions, et pas seulement à la suite de dommages ou d'accidents. L'ADN est très malléable, réagissant à l'expérience cellulaire de l'environnement et apportant des changements complexes sans perturber l'intégrité fonctionnelle de l'organisme. Il n'y a pas de programmation "aveugle" par un "gène égoïste", mais plutôt une ressource permanente, comme l'écrit Evelyn Fox Keller :

- "Les biologistes d'aujourd'hui reconnaissent qu'aussi crucial que soit le rôle de l'ADN dans le développement et l'évolution, il ne fait rien par lui-même. Il ne crée pas une caractéristique ; il n'inclut même pas un "programme" de développement. Au contraire, il est plus juste de considérer l'ADN d'une cellule comme une ressource permanente dans laquelle une cellule peut puiser pour sa survie et sa reproduction... il est toujours et nécessairement intégré dans un système immensément complexe et enchevêtré de ressources en interaction, qui sont collectivement ce qui donne lieu au développement des caractéristiques de l'organisme." (Keller, 2014, pp. 40-41)

L'action d'une enzyme, souvent décrite par la métaphore mécaniste de la "serrure et de la clé", semble fonctionner grâce à deux parties qui s'adaptent l'une à l'autre dans une négociation dynamique : "en réalité, le récepteur activé ressemble moins à une machine qu'à un... nuage de probabilité d'un nombre presque infini d'états possibles, dont chacun peut différer par son activité biologique" (McGilchrist, 2021, p. 452). Et au-delà de la métaphore de la négociation par rapport à la mécanique, les organismes sont impliqués dans de nombreuses relations symbiotiques, comme nous le savons chez nous et dans notre microbiome intestinal. Les organismes ne réagissent pas tant à un environnement qu'ils n'agissent avec un environnement - il existe une interdépendance vitale. Les effets causaux ne sont pas tous ascendants : ADN - cellule - organisme - environnement. Ils sont également descendants : Environnement - organisme - cellule - ADN. L'environnement joue un rôle important sur l'ADN, tout comme l'ADN sur l'environnement.

   5 . Les "parties" changent elles-mêmes

Contrairement à une machine, les "parties" d'un organisme changent en permanence en fonction du contexte. Une cellule sanguine, un neurone, une cellule épithéliale, toutes ont le même génome et pourtant ils se présentent sous la forme de phénotypes très différents avec des caractéristiques héréditaires différentes au sein d'une lignée. En outre, "il y a beaucoup plus de protéines codées par l'ADN qu'il n'y a de gènes pour les fabriquer : ce que ces gènes fabriquent dépend du contexte et de ce qui est requis dans ce contexte" (McGilchrist, 2021, p. 455).

En effet, toutes les molécules qui composent votre corps changent en fonction du contexte dans lequel elles se trouvent et à plusieurs niveaux, produisant une diversité de fonctions et d'effets. La nature changeante des protéines n'est qu'un exemple - les protéines dites "intrinsèquement désordonnées" (soit 30 à 50 % de vos protéines), dont la forme n'est pas fixe, offrent un champ de possibilités pratiquement illimité. Les gènes présentent également un processus malléable soumis aux besoins de l'organisme. Comme le dit le philosophe des sciences Denis Walsh :


- "L'ingénierie du génome par l'organisme est courante. Les cellules coupent, transposent, copient et fixent activement leurs génomes. Elles le font de manière très spécifique et adaptative. Il s'agit d'une perspective très différente de celle qui consiste à considérer l'ADN comme le script, le programme, le schéma directeur, que l'organisme est destiné à devenir. Il y a beaucoup plus d'indétermination, de flux et de créativité dans le processus de ces systèmes " anti-fragiles " d'adaptation et de flexibilité. À bien des égards, la fixité et la solidité des organismes sont une perception inexacte. En fin de compte, même ce que nous considérons comme les parties "solides" des cellules sont en fait des flux. La cellule vivante est essentiellement fluide, principalement de l'eau. Même les surfaces, les membranes cellulaires, le cytosquelette et les divers systèmes de fibres, qui semblent relativement solides, sont "soumis à une dissolution et une reconstitution plus ou moins continues". Nous imaginons que l'organisme contient des structures fixes en raison de la nature de l'attention de l'hémisphère gauche, qui remplace le flux par des sections figées hors du temps : nos diagrammes statiques, ou photomicrographies." (McGilchrist, 2021, p. 458)

    6 . L'influence du tout

Supposons un instant que nous puissions identifier les "parties" d'un organisme. Ces "parties" ne sont pas des pièces d'assemblage distinctes qui sont assemblées pour former un tout, mais elles apparaissent en même temps que le reste du corps pour créer un tout. Au fur et à mesure qu'un organisme se développe, des "parties" plus distinctes apparaissent, qui ne "constituent pas le tout mais découlent de l'existence du tout". L'émergence dynamique des propriétés à travers les relations, à différents niveaux, avec les "parties" d'un organisme nous ramène à ce qui est un processus indivisible et non un assemblage de parties. L'interdépendance de tout au sein du processus influence et façonne tout - le tout façonnant les "parties", les "parties" façonnant le tout. L'organisme n'est pas un agrégat mais une unité caractéristique.

 "... au niveau phénoménologique, nous voyons cela tout le temps. Lorsque les molécules forment de nouveaux ensembles, des qualités totalement nouvelles, imprévisibles à partir des parties constituantes apparentes, émergent : ainsi, une substance cristalline blanche et savoureuse - le sel de table - émerge des composants du sodium, un métal gris terne et malléable, et du chlore, un gaz jaune verdâtre malodorant et toxique." (McGilchrist, 2021, p. 460)

Les machines ne s'adaptent généralement pas en réponse à l'usure ou à la défectuosité de certaines pièces. Les machines ne sont généralement pas conçues pour inventer comme ça une solution locale à de tels problèmes, afin de poursuivre, voire d'améliorer, la finalité de la machine. Un organisme, en revanche, peut réagir de manière créative pour se guérir lui-même, voire régénérer des parties entières de son corps. Le ver plat peut régénérer son corps entier, y compris son cerveau central, à partir d'un simple fragment de lui-même. De plus, le ver plat régénéré, ou les vers plats si de nombreux fragments se régénèrent, conservent la mémoire du ver d'origine, c'est-à-dire qu'ils se souviennent de la façon de se déplacer dans un labyrinthe.

Les cellules, ainsi que l'ensemble de l'organisme, font preuve d'intelligence - cette capacité à faire face de manière constructive à l'imprévu - grâce à laquelle le tout influence les "parties" autant que les "parties" influencent le tout. Les "parties" ont accès à des informations sur l'ensemble et agissent de manière intelligente au service de l'ensemble.

- "Si une cellule est placée dans un milieu légèrement acide, ses mitochondries se brisent en petites billes sphériques. Mais, étonnamment, lorsque la cellule est replacée dans un milieu normal, elles fusionnent à nouveau en chaînes, et finissent par reprendre l'apparence et la structure interne de mitochondries normales. Supposons encore que vous coupiez un germe de membre en développement dans un embryon d'amphibien, que vous secouiez les cellules pour les séparer les unes des autres, puis que vous les laissiez s'agréger à nouveau pour former un amas aléatoire. Vous replacez ensuite cette masse aléatoire dans l'embryon. Que se passe-t-il ? Une patte normale se développe. La forme du membre dans son ensemble dicte... le réarrangement des cellules." (McGilchrist, 2021, p. 466)

La cellule unique est remarquablement intelligente et, dans le cas d'un micro-organisme prédateur unicellulaire cilié, elle peut chasser et bondir sur sa proie d'une façon qui parait semblable à un chat chassant une souris. Le Spirostomum cilié a de la mémoire et peut être entraîné !

McGilchrist cite des exemples d'expériences où des gènes essentiels ont été éliminés de l'ADN, mais où les organismes retrouvaient ces fonctions même en l'absence du gène. L'adaptation de l'ADN, ou l'influence de l'organisme sur son propre ADN, n'est pas le résultat de simples accidents. Comme le résume McGilchrist, "les organismes ne se contentent pas d'attendre passivement un heureux accident ou de se résigner à disparaître, mais ils se remodèlent activement en réponse aux changements de leur environnement."

   7 . Limites imprécises

Les limites d'une machine sont clairement définies, celles des systèmes naturels ne le sont pas. Les êtres vivants sont des processus, comme nous l'avons établi précédemment, et les processus ne sont pas tant définis par l'endroit où ils se trouvent que par ce qu'ils font. De même que le cerveau est continu avec le reste du corps, le microbiome intestinal symbiotique est essentiellement intégré au reste du corps et est en relation vitale avec l'environnement. Plus nous observons les organismes de près, moins les entités individuelles sont délimitées et plus elles sont imbriquées et mises en réseau de manière complexe. Elles deviennent la vaste trame d'une masse de vie interconnectée, coopérative, symbiotique et co-régulatrice.

    8 . Débouillardise

Dans le cas d'une machine, les instructions de fabrication de la machine ne peuvent pas être elles-mêmes le produit de la machine qu'elles sont censées fabriquer. Même dans un ordinateur, le logiciel est séparé du matériel : le matériel doit être terminé avant que le logiciel puisse y être extrinsèquement inséré. Le code pour la fabrication de la machine n'est pas écrit simultanément par la machine dans le processus initial même de se former en tant qu'ordinateur. (McGilchrist, 2021, p. 471)

Cependant, les organismes génèrent des informations au cours du processus de développement, par le biais rétroactif des états en cours, afin d'influencer davantage le développement. C'est très différent des machines, car même les logiciels sophistiqués d'intelligence artificielle doivent d'abord bénéficier de l'apport intelligent d'un programmateur, alors qu'il existe des processus cellulaires dans lesquels nous ne pouvons rendre compte d'une telle "pré-programmation".


Pourquoi ce modèle de machine nous plaît-il ?

Nous comprenons les machines, elles peuvent être décomposées, leurs parties peuvent être comprises et elles peuvent être réassemblées pour former un objet fonctionnel et productif. Pour la plupart, elles sont simples - du moins par rapport aux êtres vivants - et nous aimons la simplicité. Nous pouvons maîtriser les enchaînements, nous pouvons manipuler la chaîne de causes et d'effets, nous pouvons avoir le contrôle sur une machine. Il est naturel que nous extrapolions ensuite notre compréhension des machines à d'autres choses animées. Elles donnent l'illusion d'être compréhensibles si elles sont semblables à des machines. Nous faisons abstraction des chaînes de causes et d'événements, comme en biologie moléculaire, et interprétons le système comme étant de nature largement mécanique. Nous identifions un processus répétable de manière fiable dans un organisme et supposons immédiatement qu'il démontre l'aspect mécanique et le déterminisme.

Cependant, les événements aléatoires peuvent produire des résultats largement prévisibles - la chute aléatoire de la pluie aboutit à des flux prévisibles de ruisseaux et de rivières, les décès accidentels aléatoires d'un type particulier restent relativement réguliers et prévisibles. Christopher Hallpike utilise le Monopoly comme métaphore :

- "les joueurs sont tous différents et les lancers de dés produisent un jeu complètement différent à chaque fois, mais les contraintes sous-jacentes produisent essentiellement le même résultat : un seul joueur qui possède tout et qui a poussé tous les autres à la faillite. C'est une bonne illustration du fait que des événements uniques, voire le hasard, et le libre arbitre, sont tout à fait compatibles avec des résultats largement prévisibles."

Les êtres vivants peuvent avoir l'apparence de fiabilité et de stabilité que nous associons aux machines, mais ils sont moins stables et plus fiables que ces dernières. Si la métaphore de la machine a été utile, cela ne signifie pas qu'elle soit vraie. Le problème d'une métaphore utile, mais non vraie, est que vous ne pouvez pas l'extrapoler comme nous l'avons fait pour le monde vivant. Cela commence à devenir un facteur limitant, voire un handicap sérieux. Outre le fait qu'une métaphore erronée peut être limitative dans un sens utilitaire, elle est également préjudiciable à la noble quête scientifique de la compréhension de ce que nous sommes.

McGilchrist suggère qu'au-delà de la simplicité, de la familiarité et de l'utilité, il existe une raison plus passionnelle de s'accrocher au modèle de la machine - "Je suis enclin à penser que l'un des éléments de la popularité du modèle est qu'il encourage le sentiment que nous pouvons facilement comprendre ce qu'est la vie et apprendre à la contrôler...". Ce désir de l'hémisphère gauche de manipuler et de contrôler, tout en niant l'évidence que les organismes ne sont pas des machines et en insistant sur sa vision mécaniste des choses. "Métaphoriquement parlant, c'est comme si de nombreux biologistes résidaient maintenant dans la galerie des glaces de l'hémisphère gauche, et non seulement ils ne peuvent pas trouver la sortie, mais ils ont cessé d'être conscients qu'il existe un monde extérieur à atteindre", déplore M. McGilchrist.

Il est difficile, voire impossible, pour l'hémisphère gauche d'accepter et de comprendre les êtres vivants en tant que processus, fluctuant constamment, évoluant, changeant et s'imbriquant de manière complexe dans son contexte et son environnement. Pour l'hémisphère gauche, le processus doit être traduit en choses, la complexité non linéaire (y compris l'interactivité réciproque et la co-création) doit être traduite en cause et effet linéaire simpliste. L'hémisphère gauche...

"... comprend un ensemble comme étant simplement l'assemblage de parties, et la causalité comme allant du bas vers le haut uniquement, et non de plusieurs directions à la fois. Elle est à l'aise lorsqu'elle peut suivre des procédures ; elle l'est moins lorsqu'il s'agit de reconnaître de nouvelles formes, ou champs, à l'œuvre. Elle préfère ce qui est clairement défini à ce qui a des limites imprécises. Elle ne voit pas les 'Gestalten' [formes reliées à leur environnement], dont la vie fournit les meilleurs exemples."

En biologie contemporaine, cette allégeance à la tendance utilitaire de l'hémisphère gauche à manipuler le monde est une bonne raison de faire une pause et d'examiner ses prétentions à la vérité. On nous avait dit que c'était le "gène égoïste" qui, pour des raisons de pure survie, était le moteur "aveugle" et même le mécanisme de l'évolution. Mais nous savons maintenant que l'organisme dans son ensemble influence son ADN autant que son ADN influence l'ensemble et que, au lieu de la survie du plus apte, il s'agit plutôt de l'épanouissement de la coopération - coopération au sein de l'environnement et avec celui-ci, dans un mode de co-création réciproque.

 Mais l'hémisphère gauche, l'hémisphère vers lequel nous semblons être orientés en ce début de 21e siècle, a du mal à traiter avec les êtres vivants et voit plutôt les êtres vivants comme des morts, des zombies, des machines. Pour l'hémisphère gauche, le flux d'êtres vivants doit être arrêté, et ce n'est qu'alors que la représentation statique des parties ou des fragments morts peut être comprise, ou plutôt manipulée et contrôlée. L'hémisphère gauche n'accepte pas non plus l'idée que quelque chose, comme un être humain, ait un but ou une valeur intrinsèque. Dans son monde, tout ce qui a de la valeur doit avoir un but extrinsèque, c'est-à-dire qu'il doit être utile, dans la mesure où l'hémisphère gauche définit l'utilité. Bien sûr, il y a des questions téléologiques, les questions "pour quoi faire ?" des "raisons de la conception de la forme" quand il s'agit de la biologie. Mais la téléologie du vivant ne nécessite pas de déterminisme mais plutôt des tendances et des penchants qui ne sont souvent pas extrinsèquement utilitaires ou exploitables comme l'imagine l'hémisphère gauche. La forme joue un rôle crucial dans la tendance des processus envers une certaine forme, un potentiel intrinsèque au fur et à mesure que le processus se déroule...

"Dans la séquence polymère des acides aminés qui constitue la structure primaire de l'enzyme, écrit Stein, il y a une directionalité et un potentiel pour son déploiement correct en un catalyseur d'une puissance et d'une sélectivité remarquables. Les formes requises dans l'enzyme, dans la cellule, dans l'arbre, peuvent ne pas être obtenues en venant de l'arrière, mais en provenant de l'avant, vers certaines extrémités, certaines conformations, certains attracteurs, tout comme une vallée " attire " l'eau qui tombe uniformément sur les collines environnantes vers une extrémité évidente : l'embouchure d'une seule rivière. Il y a une énergie attractive stockée dans la formation du paysage." (McGilchrist, 2021, p. 479) 

Donc un organisme, contrairement à une machine, peut connaitre une multitude d'événements aléatoires qui se produisent à l'intérieur et à l'extérieur, indéterminés, imprévisibles, et pourtant avoir un comportement volontaire. Vous n'accorderiez pas grande confiance à un véhicule à moteur décrit comme une masse de molécules s'écoulant au hasard comme une rivière, mais qui finira par vous mener à destination. Nous ne devrions pas non plus accorder une grande confiance à un être humain décrit comme un mécanisme fixe, prédéterminé et prévisible - c'est peut-être une bonne description d'un androïde, mais pas de votre conjoint ou de votre enfant.

Pourtant la plupart des biologistes orthodoxes veulent s'accrocher au modèle de la machine malgré cette réalité intrinsèque à la biologie. Pour le dire autrement, les machines sont conçues par une intelligence externe (même si la machine est fabriquée par une autre machine, la première machine a été conçue par une intelligence humaine). Leur finalité est extrinsèque, elles sont faites dans le but de servir l'intelligence qui les a conçues. La machine est une représentation et une exécution de la volonté de l'hémisphère gauche humain (principalement). Les machines ne se créent pas à partir d'une volition et d'un but intrinsèques comme le font les organismes. Ainsi, pour que l'hémisphère gauche puisse donner un sens au monde organique, il se tourne vers ce qu'il connaît le mieux, le mécanisme. 

Dawkins, dans une tentative de sauver le modèle mécaniste de la biologie, parle de The Blind Watchmaker (l'horloger aveugle), ce qui est très bien, sauf que les organismes ne ressemblent en rien à des montres et que l'évolution, aveugle ou non, ne se déroule pas comme ce serait le cas avec un horloger. Bien sûr, Dawkins tentait de réfuter la conception du dessein intelligent [intelligent design] par un processus de conception sans intention intelligente. C'est un sujet difficile car il nous oblige à revenir à la question primordiale d'un créateur divin.

"Turner écrit : "Pour traiter honnêtement la question qui nous occupe ici - d'où vient le design ? - il n'y a aucun moyen d'éviter le problème de l'intentionnalité : c'est le gorille de 800 livres assis dans le coin". C'est sûrement faux : le gorille est assis, non pas dans un coin, mais au milieu de la pièce. Le monde vivant n'est pas seulement un lieu conçu", conclut-il, "c'est, à sa manière particulière, un lieu intentionnellement conçu... un phénomène vivant rempli de l'intentionnalité qui est l'attribut fondamental de la vie elle-même. Permettez-moi de dire, avant que les hurlements ne commencent, que ni lui ni moi ne plaidons pour un Dieu ingénieur. Ce que nous devons expliquer, c'est comment il y a de l'ordre, de la complexité, de la beauté et un but, tout en acceptant que ce à quoi nous avons affaire n'est pas une machine, et qu'il n'a pas de but extrinsèque, comme en a une machine - il ne remplit pas, de manière instrumentale, les objectifs de quelque chose qui lui est extérieur." (McGilchrist, 2021, p. 486)

Le courant de la vie - Un meilleur modèle ?

"Le mot "nature" en chinois, tzu-jan, et en japonais, shizen, signifie ce qui va "de soi", existe "spontanément", est "juste ce qu'il est". Ce sont, à l'origine, des adverbes, et non des noms - des façons d'être, et non des choses. S'il y a quelque chose dans cette perception ancienne, et je crois qu'elle recèle une grande sagesse, c'est qu'une vision du monde naturel comme une chose, et une chose mécanique de surcroît, ne peut que restreindre notre compréhension de ce à quoi nous avons affaire à une certaine perspective plutôt aliénante. Une machine implique l'existence d'une force créatrice extérieure ayant sa propre finalité : la nature se complaît dans la sienne." (McGilchrist, 2021, p. 488)

Le problème de la modélisation de la vie, suggère M. McGilchrist, est que nous partons des choses comme éléments sous-jacents importants. Or, ce ne sont pas des choses distinctes qui sous-tendent les organismes vivants, mais des processus. Il semble que la physique soit arrivée à cette conclusion bien avant la biologie : les modèles de flux d'énergie et de champs de force, en constante évolution, sont les éléments sous-jacents du monde matériel. Tout est une manifestation d'énergie, de vibration, si vous voulez, non pas statique, mais dans un état constant de mouvement. Au niveau quantique, ce que nous pensions être des particules se révèle être des excitations quantifiées de champs particuliers - des modèles statistiques d'ondes de stabilité dans un océan d'activité en arrière-plan. La matière, et les choses statiques, ne sont qu'une représentation sommaire de la réalité que nous utilisons pour " appréhender " ce qui est. En guise de métaphore, un ruisseau, une rivière, une chute d'eau, l'océan, sont plus proches des organismes que d'une machine. 

L'état d'inertie est une illusion. Une illusion du temps et de l'espace. Le monde, aux niveaux moléculaire, atomique et subatomique, bouge très vite - le mouvement des vagues est un tourbillon d'activité. À l'échelle macroscopique, les choses semblent plus statiques, plus solides, mais si vous deviez observer un paysage particulier sur des millions d'années, vous verriez le mouvement de va-et-vient de la matière à grande échelle. Les qualités des choses changent avec l'échelle, mais dans l'ensemble, l'univers matériel coule comme un fleuve de vie. Néanmoins, le cours d'eau n'est encore qu'une métaphore - à ne jamais confondre avec la réalité car nous pourrions être hypnotisés dans un monde virtuel hyperréaliste - il s'agit toujours d'une représentation. Nous devons garder cela à l'esprit. Mais nous pouvons avoir des métaphores plus précises pour le vivant que pour la machine (même si la métaphore de la machine a été utile). 

L'hémisphère gauche, ce côté du cerveau qui, selon moi, est obsédé par l'idée du transhumanisme, a un champ d'action étroit, fragmentaire, et il cherche à se concentrer sur un objet figé dans une tranche de temps. Cette perspective étroite du temps et de l'espace dément la profondeur et le flux de l'ensemble et, en effet, il manque quelque chose de très important dans l'image du monde que se fait l'hémisphère gauche. 

"Une fois que l'hémisphère gauche a figé son objet dans le temps et l'a décontextualisé dans l'espace, il lui reste des parties fixes, claires, distinctes mais inertes, qui doivent ensuite être reconnectées et réanimées ; les éléments constitutifs doivent être assemblés à nouveau et le courant, pour ainsi dire, rétabli. Pour l'hémisphère droit, ces "objets" sont déjà connectés, animés et en mouvement : le courant n'a jamais été coupé." (McGilchrist, 2021, p. 493)

Je pense que nous pouvons commencer à comprendre les difficultés, voire les catastrophes, qui pourraient se présenter lorsque l'on tente de rattacher la biologie aux machines ou de manipuler l'ADN comme s'il s'agissait d'un simple code informatique. L'hémisphère gauche part de l'hypothèse erronée qu'il relie un type de machine à un autre, ou qu'il est un "ingénieur génétique", alors qu'en fait la nature de la machine et le flux/processus de l'organisme sont fondamentalement différents, et je dirais même incompatibles. La nature est continue, émergente, fluide...

"À un niveau fondamental, la nature est-elle discontinue ou continue ? Je ne vois aucune preuve du caractère discontinu. Toute la discontinuité que nous voyons dans le monde est quelque chose qui émerge d'un continuum sous-jacent... Les quanta sont émergents... ils ne sont pas intégrés au cœur de la nature." (Tong, 2016)

Il ne fait aucun doute que les machines sont douées pour manipuler la biologie - la surveillance d’État témoigne de l'utilité de la technologie moderne pour contrôler les pensées et les comportements par le biais de la gouvernance technocratique. Mais intégrer véritablement l'homme et la machine est une toute autre affaire.

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