Livre Tibétain de la Vie et de la Mort
Si
nous portons un regard véritable sur nous-mêmes et sur les choses qui nous
entourent et qui, jusqu’alors, nous paraissaient si certaines, si stables et si
durables, nous nous apercevons qu’elles n’ont pas plus de réalité qu’un rêve.
Deuxième partie
ACCEPTER LA MORT
Si tu veux connaître la vérité de
la vie et de la mort, tu dois réfléchir continuellement à ceci : la seule
loi dans l’univers qui ne soit pas soumise au changement est que tout change et
que tout est impermanent.
Lorsque nous acceptons la mort,
transformons notre attitude envers la vie et découvrons le lien fondamental qui
existe entre la vie et la mort, une possibilité extraordinaire de guérison se
présente à nous.
La vie n’est rien d’autre qu’une
danse ininterrompue de naissances et de morts, une danse du changement.
Chaque fois que j’entends un
torrent dévaler la pente d’une montagne ou des vagues déferler sur le rivage,
ou encore le battement de mon propre cœur, j’entends le son de l’impermanence.
Ces changements, ces petites morts, sont nos liens vivants avec la mort :
ils en sont le pouls, le battement de cœur, et nous incitent à lâcher tout ce à
quoi nous nous accrochons.
L’impermanence étant pour nous
synonyme d’angoisse, nous nous cramponnons aux choses avec l’énergie du
désespoir, bien que tout soit pourtant voué au changement. L’idée de lâcher
prise nous terrifie mais, en réalité, c’est
le fait même de vivre qui nous terrifie car apprendre à vivre, c’est apprendre
à lâcher prise.
Le lâcher prise est le chemin de
la vraie liberté.
Être un guerrier spirituel, c’est
développer un courage d’un genre particulier, foncièrement intelligent, doux et
intrépide à la fois. Les guerriers spirituels peuvent éprouver de la peur, mais
ils ont suffisamment de courage pour oser goûter à la souffrance, pour établir
un rapport clair à leur peur fondamentale et ne pas se dérober lorsqu’il s’agit
de tirer des leçons de leurs difficultés.
Comme nous le dit Chôgyam Trungpa
Rinpoché, devenir un guerrier signifie que « nous sommes capables
d’échanger notre poursuite mesquine de sécurité contre une vue plus vaste,
faite d’audace, de largeur d’esprit et d’héroïsme authentique… ».
Imaginez une vague à la surface
de la mer. Vue sous un certain angle, elle semble avoir une existence
distincte, un début et une fin, une naissance et une mort. Perçue sous un autre
angle, la vague n’existe pas réellement en elle-même, elle est seulement le
comportement de l’eau, « vide » d’une identité séparée mais
« pleine » d’eau. Si vous réfléchissez sérieusement à la vague, vous
en venez à réaliser que c’est un phénomène rendu temporairement possible par le
vent et l’eau, qui dépend d’un ensemble de circonstances en constante
fluctuation. Vous vous apercevez également que chaque vague est reliée à toutes
les autres. Si vous y regardez de près, rien ne possède d’existence
intrinsèque. C’est cette absence d’existence indépendante que nous appelons
« vacuité ».
Pensez à un arbre : vous
aurez tendance à le percevoir, comme la vague, en tant qu’objet clairement
défini, ce qui est vrai à un certain niveau. Mais un examen attentif vous
montrera qu’en fin de compte, il ne possède pas d’existence indépendante. Si
vous le contemplez, vous constaterez qu’il se dissout en un réseau extrêmement
subtil de relations s’étendant à l’univers entier : la pluie qui tombe sur
ses feuilles, le vent qui l’agite, le sol qui le nourrit et le fait vivre, les
saisons et le temps, la lumière de la lune, des étoiles et du soleil – tout
cela fait partie de l’arbre.
En poursuivant votre réflexion,
vous découvrirez que tout dans l’univers contribue à faire de l’arbre ce qu’il
est, qu’il ne peut à aucun moment être isolé du reste du monde et qu’à chaque
instant, sa nature se modifie imperceptiblement. C’est ce que nous entendons
lorsque nous disons que les choses sont vides, qu’elles n’ont pas d’existence
indépendante.
Milarépa disait :
« Reconnaissant la vacuité, soyez empli de compassion. »
Si une relation d’interdépendance
nous lie à chaque chose et à chaque être, la moindre de nos pensées, paroles ou
actions aura de réelles répercussions dans l’univers entier.
Il n’existe aucune information
générale sur la nature de l’esprit : les écrivains et les intellectuels
n’y font guère allusion ; les philosophes modernes n’en parlent pas
directement ; la majorité des scientifiques nient qu’elle puisse même
exister. Elle ne joue aucun rôle dans la culture populaire ; elle n’est
pas mise en chansons ; on n’en parle pas dans les pièces de théâtre et
elle ne figure pas au programme de la télévision. En fait, nous sommes éduqués dans
la croyance que rien n’est réel au-delà de ce que nous percevons directement au
moyen de nos sens ordinaires.
TOURNER SON REGARD VERS
L’INTÉRIEUR
Nous nous créons une vie
tellement trépidante que nous éliminons le moindre risque de regarder en
nous-mêmes. Même l’idée de méditation peut être effrayante pour certains.
Lorsque nous entendons des expressions telles que « sans ego » ou
« vacuité », nous imaginons que faire l’expérience de ces états
équivaudrait à être éjecté d’un vaisseau spatial pour flotter à jamais dans un
vide obscur et glacé. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Mais,
dans un monde voué à la distraction, le silence et la tranquillité nous
terrifient. Nous nous en préservons par le bruit et par une activité effrénée.
Examiner la nature de notre esprit est la dernière démarche que nous oserions
entreprendre.
Bien qu’en apparence notre
société célèbre la valeur de la vie humaine et la liberté individuelle, elle
nous traite en réalité comme des individus obsédés par le pouvoir, le sexe et
l’argent, ayant constamment besoin d’être distraits de tout contact avec la
mort ou avec la vie véritable.
Notre véritable nature, la nature
de tous les êtres, n’est pas extraordinaire. Paradoxalement, c’est ce monde
soi-disant ordinaire qui est extraordinaire, une hallucination fantastique et
complexe provoquée par la vision trompeuse du samsara. C’est cette vision
« extraordinaire » qui nous rend aveugles à la nature
« ordinaire », inhérente et naturelle de notre esprit.
Qui que nous soyons, nous pouvons
réaliser la nature de l’esprit et découvrir en nous-mêmes ce qui est immortel
et éternellement pur.
Le premier pas est la pratique de
la méditation. C’est la méditation qui purifiera peu à peu notre esprit
ordinaire, démasquant et épuisant ses habitudes et ses illusions pour que, le
moment venu, nous puissions reconnaître notre vraie nature.
L’ignorance de notre vraie nature
est la source de tous les tourments du samsara, et la source de cette ignorance
elle-même est la tendance invétérée de notre esprit à la distraction.
Le ciel est notre nature absolue,
sans entraves ni limites, et le sol notre réalité, notre condition relative,
ordinaire. La posture que nous adoptons quand nous méditons signifie que nous
relions l’absolu et le relatif, le ciel et la terre, comme les deux ailes d’un
oiseau, intégrant le ciel de la nature immortelle de l’esprit et le sol de
notre nature mortelle et transitoire.
Pris dans un tourbillon de hâte
et d’agressivité, nous vivons notre vie dans le conflit et l’angoisse ;
nous sommes emportés par la compétition, l’avidité, le désir de possession et
l’ambition. Nous nous chargeons sans répit d’occupations et d’activités
superflues. La méditation, elle, est l’exact opposé.
Toute la pratique de la
méditation peut se résumer à ces trois points essentiels : ramener
l’esprit en lui-même, le relâcher et se détendre.
Toute douleur, toute peur et
toute détresse proviennent du désir insatiable de l’esprit qui saisit.
Si votre esprit est capable de
s’apaiser de lui-même et si vous vous sentez inspiré à demeurer simplement dans
sa pure conscience claire, vous n’avez besoin d’aucune méthode de méditation.
C’est l’esprit, et non la
technique, qui est de loin l’aspect le plus important de la méditation :
c’est l’habileté, l’inspiration et la créativité que nous mettons dans notre
pratique, et que l’on pourrait également appeler la « posture ».
L’ESPRIT DANS LA MÉDITATION
La méditation n’est pas un moyen
de fuir le monde, ou de s’en échapper par le biais de l’expérience extatique
d’un état de conscience altéré. C’est, au contraire, un moyen direct pour nous
aider à nous comprendre véritablement, et à nous relier à la vie et à
l’univers. C’est pourquoi, dans la méditation, vous gardez les yeux ouverts.
Ce qui compte, c’est la pure
présence.
Plutôt que
d’« observer » la respiration, identifiez-vous graduellement à elle,
comme si vous deveniez le souffle. Peu à peu, la respiration, celui qui respire
et l’acte de respirer deviendront un. La dualité et la séparation
s’évanouiront.
Un maître décrivait la méditation
ainsi : « L’esprit, suspendu dans l’espace, nulle part. »
Les pensées et les émotions sont
le rayonnement et la manifestation de la nature même de l’esprit. Elles
s’élèvent de l’esprit, mais où se dissolvent-elles ? Dans l’esprit. Quelle
que soit la pensée ou l’émotion qui surgit, ne la percevez pas comme un
problème particulier. Si vous n’y réagissez pas de façon impulsive mais demeurez
simplement patient, elle se déposera à nouveau dans sa nature essentielle.
Quelles que soient les pensées et
les émotions qui se manifestent, laissez-les donc s’élever puis se retirer,
telles les vagues de l’océan. Permettez-leur d’émerger et de s’apaiser, sans
contrainte aucune. Ne vous attachez pas à elles, ne les alimentez pas, ne vous
y complaisez pas, n’essayez pas de les solidifier. Ne poursuivez pas vos pensées,
ne les sollicitez pas non plus. Soyez semblable à l’océan contemplant ses
propres vagues ou au ciel observant les nuages qui le traversent.
Vous vous apercevrez vite que les
pensées sont comme le vent : elles viennent puis s’en vont. Le secret
n’est pas de « penser » aux pensées, mais de les laisser traverser
votre esprit, tout en gardant celui-ci libre de commentaire mental.
Quand la pensée précédente est passée
et que la pensée suivante ne s’est pas encore élevée, vous trouverez toujours
un espace dans lequel Rigpa, la nature de l’esprit, est révélé. La tâche de la
méditation est donc de permettre aux pensées de ralentir afin que cet
intervalle devienne de plus en plus manifeste.
Ce qui importe n’est pas la durée
de votre méditation, mais que votre pratique vous conduise à un certain état
d’attention et de présence où vous vous sentez un peu plus ouvert et en mesure
de vous relier à votre essence.
La raison d’être, l’intérêt et le
but tout entiers de la méditation sont d’intégrer celle-ci dans l’action. La
violence et les tensions, les défis et les distractions de la vie moderne
rendent cette intégration d’autant plus urgente et nécessaire.
Il vous faut prolonger dans
chacune de vos actions l’état d’esprit calme et centré dans lequel vous vous
trouvez après la méditation.
Votre état de santé général
dépend beaucoup de votre état d’esprit et de votre façon d’être.
Tout peut devenir une invitation
à la méditation : soyez à l’affût de chaque manifestation de beauté et de
grâce. Offrez chaque joie, soyez à tout moment attentif au « message
émanant sans cesse du silence. »
La suite du récit de Sogyal Rinpoché parle principalement de l'importance de trouver un maître et donne des consignes pour accompagner les mourants.
Il me semble avoir transmis ce qui importe le plus...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire