Livre Tibétain de la Vie et de la Mort
De Sogyal Rinpoché
« La naissance d’un
homme est la naissance de sa douleur. Plus il vit longtemps et plus il devient
stupide, parce que son angoisse d’éviter une mort inévitable s’intensifie sans relâche.
Quelle amertume ! Il vit pour ce qui est toujours hors de portée ! Sa
soif de survie dans le futur le rend incapable de vivre dans le présent. »
Chuang Tzu.
Première partie de mon résumé
La société contemporaine demeure, dans une large mesure, un désert
spirituel et la majorité des gens s’imagine qu’il n’existe pas d’autre vie que
celle-ci. Sans foi réelle et authentique en une vie après la mort, la plupart
d’entre nous mène une existence dépourvue de toute signification ultime.
Fondamentalement persuadée qu’il n’existe pas d’autre vie que celle-ci,
la société moderne n’a développé aucune vision à long terme. Rien n’empêche
donc les individus de piller la planète afin de réaliser leurs objectifs
immédiats et de vivre dans un égoïsme qui pourrait bien s’avérer fatal pour l’avenir.
Nous saccageons, empoisonnons, détruisons tous les écosystèmes de la
planète. Nous signons des reconnaissances de dette que nos enfants ne pourront
jamais payer… Nous nous conduisons comme si nous étions la dernière génération
sur terre.
Nous pouvons commencer, ici et maintenant, à découvrir un sens à notre
vie. Nous pouvons faire de chaque instant l’occasion de changer et de nous
préparer – de tout notre être, avec précision et l’esprit paisible – à la mort
et à l’éternité.
Le Livre des Morts Tibétain n’est qu’une partie d’un enseignement
extraordinaire :
La vie et la mort – envisagées comme un tout – sont présentées comme une
série de réalités transitoires constamment changeantes, appelées bardos. Le
terme « bar do » est communément utilisé pour désigner l’état
intermédiaire entre la mort et la renaissance mais, en réalité, les bardos se
produisent continuellement, aussi bien durant la vie que durant la mort ;
ce sont des moments de passage où la possibilité de libération, ou d’éveil, se
trouve considérablement accrue.
Toutefois, le plus puissant et le plus significatif de ces moments
demeure celui de la mort.
Milarépa, le célèbre saint et poète du Tibet, disait : « Ma religion
est de vivre — et de mourir – sans regret. »
Si nous refusons d’accepter la réalité de la mort aujourd’hui, alors que
nous sommes encore en vie, nous le paierons chèrement, non seulement tout au
long de notre existence, mais aussi au moment de la mort et ensuite. Ce refus
aura pour conséquence de gâcher cette vie et toutes celles à venir. Nous serons
incapables de vivre notre existence pleinement ; nous demeurerons
prisonniers, précisément, de cet aspect de nous-mêmes qui doit mourir. Cette
ignorance nous privera de la base même du voyage vers l’éveil et nous retiendra
sans fin dans le royaume de l’illusion, le cycle incontrôlé de la vie et de la
mort, cet océan de souffrance que nous, bouddhistes, appelons samsara
Pour celui qui s’est préparé et s’est engagé dans une pratique
spirituelle, la mort arrive non comme une défaite mais comme une victoire,
devenant ainsi le moment le plus glorieux de la vie, son couronnement.
« Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La
préméditation de la mort est préméditation de la liberté… Le savoir mourir nous
affranchit de toute soumission et contrainte. »
Montaigne
Sans doute la raison la plus profonde de notre peur de la mort est-elle
que nous ne savons pas qui nous sommes. Nous croyons en une identité personnelle,
unique et distincte…
En l’absence de nos supports familiers, nous sommes directement
confrontés à nous-mêmes, un personnage que nous ne connaissons pas, un étranger
déroutant avec qui nous avons toujours vécu mais que nous n’avons jamais voulu
vraiment connaître. N’est-ce pas pour cette raison que nous nous efforçons de
remplir chaque instant de bruit et d’activités, même futiles et ennuyeuses,
afin de nous assurer que nous ne resterons jamais seuls, en silence, en
compagnie de cet étranger ? Cela ne met-il pas le doigt sur un aspect
fondamentalement tragique de notre mode de vie ?
Nous vivons sous une identité d’emprunt, dans un monde névrotique de conte de fées qui n’a pas plus de réalité que la tortue fantaisie d’Alice au Pays des Merveilles. Grisés par l’ivresse de construire, nous avons bâti la demeure de notre existence sur du sable. Ce monde peut sembler merveilleusement convaincant, jusqu’au moment où la mort fait s’écrouler l’illusion et nous expulse de notre cachette. Que nous arrivera-t-il à ce moment-là, si nous n’avons aucune idée de l’existence d’une réalité plus profonde ?
Nous vivons sous une identité d’emprunt, dans un monde névrotique de conte de fées qui n’a pas plus de réalité que la tortue fantaisie d’Alice au Pays des Merveilles. Grisés par l’ivresse de construire, nous avons bâti la demeure de notre existence sur du sable. Ce monde peut sembler merveilleusement convaincant, jusqu’au moment où la mort fait s’écrouler l’illusion et nous expulse de notre cachette. Que nous arrivera-t-il à ce moment-là, si nous n’avons aucune idée de l’existence d’une réalité plus profonde ?
Combien la vie peut être vaine et futile lorsqu’elle est fondée sur une
croyance erronée en la continuité et la permanence.
Le rythme de notre vie est si trépidant que la dernière chose à laquelle
nous ayons le temps de penser est la mort. Nous étouffons notre peur secrète de
l’impermanence en nous entourant d’un nombre sans cesse croissant de biens,
d’objets, de commodités, pour en devenir, en fin de compte, les esclaves. Tout
notre temps et toute notre énergie s’épuisent à les maintenir. Notre seul but
dans l’existence devient bientôt de nous entourer du maximum de sécurité et de
garanties. Lorsque des changements surviennent, nous y remédions par une
solution facile et temporaire, un expédient. Et notre vie s’écoule ainsi, à
moins qu’une maladie grave ou une catastrophe ne vienne nous secouer de notre
torpeur.
En dépit de tous nos discours sur la nécessité d’être pragmatique, le
pragmatisme en Occident se résume en une vue à court terme marquée par
l’ignorance et souvent l’égoïsme. Le regard déformé par la myopie, nous nous
focalisons sur cette vie-ci à l’exclusion de toute autre, et c’est là la grande
supercherie, la source du matérialisme lugubre et destructeur du monde moderne.
La paresse à l’occidentale consiste à remplir sa vie d’activités
fébriles, si bien qu’il ne reste plus de temps pour affronter les vraies
questions. Si nous examinons notre vie, nous verrons clairement que nous
accumulons, pour la remplir, un nombre considérable de tâches sans importance
et quantité de prétendues « responsabilités ».
Impuissants, nous voyons nos journées se remplir de coups de téléphone,
de projets insignifiants ; nous avons tant de responsabilités… Ne
devrions-nous pas dire plutôt d’« irresponsabilités » ? C’est
notre vie qui semble nous vivre, nous porter et posséder sa propre dynamique
étrange.
Nous ne sommes que des voyageurs, ayant trouvé un refuge temporaire dans
cette vie et dans ce corps.
L’obsession d’améliorer nos conditions matérielles, qui détermine notre
comportement, peut devenir une fin en soi et une distraction dénuée de sens.
le plus grand accomplissement de la culture moderne est la publicité
remarquable qu’elle fait pour le samsara et ses distractions stériles. La
société contemporaine m’apparaît comme une célébration de tout ce qui nous
éloigne de la vérité, nous empêche de vivre pour cette vérité et nous décourage
de seulement croire à son existence. Étrange paradoxe que cette civilisation
qui prétend adorer la vie mais lui retire en fait toute signification réelle,
qui clame sans cesse vouloir rendre les gens « heureux » mais, en
réalité, leur barre la route menant à la source de la joie véritable !
Ce samsara moderne entretient et favorise en nous une angoisse et une dépression dont il se nourrit en retour. Il les alimente soigneusement par le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité afin de se perpétuer. Il est extrêmement organisé, habile et sophistiqué ; il nous assaille de tous côtés avec sa propagande et crée autour de nous un environnement de dépendance presque insurmontable. Plus nous tentons de lui échapper, plus nous semblons tomber dans les pièges qu’il nous pose si ingénieusement.
Comme le disait le maître tibétain du XVIIIe siècle, Jigmé Lingpa : « Hypnotisés par l’infinie variété des perceptions, les êtres errent et se perdent sans fin dans le cercle vicieux du samsara. »
Ce samsara moderne entretient et favorise en nous une angoisse et une dépression dont il se nourrit en retour. Il les alimente soigneusement par le biais d’une société de consommation qui cultive notre avidité afin de se perpétuer. Il est extrêmement organisé, habile et sophistiqué ; il nous assaille de tous côtés avec sa propagande et crée autour de nous un environnement de dépendance presque insurmontable. Plus nous tentons de lui échapper, plus nous semblons tomber dans les pièges qu’il nous pose si ingénieusement.
Comme le disait le maître tibétain du XVIIIe siècle, Jigmé Lingpa : « Hypnotisés par l’infinie variété des perceptions, les êtres errent et se perdent sans fin dans le cercle vicieux du samsara. »
Sachant cela, ne devrions-nous pas écouter ces paroles de Gyalsé
Rinpoché : Faire des projets d’avenir, c’est comme aller pêcher dans le
lit sec d’un torrent ; rien n’arrive jamais comme on le souhaite, aussi
abandonnez tous vos projets et ambitions. S’il vous faut penser à quelque
chose, que ce soit à l’incertitude de l’heure de votre mort…
PRENDRE LA VIE AU SÉRIEUX
Apprenons à ne pas nous surcharger d’activités et de préoccupations
superflues mais, au contraire, à simplifier notre vie toujours davantage. La
clé nous permettant de trouver un juste équilibre dans notre vie moderne est la
simplicité.
Les seuls buts réellement valables de l’existence sont « d’apprendre
à aimer les autres et d’acquérir la connaissance ».
Si vous regardez au fond des choses, vous comprendrez qu’il n’existe rien
qui soit permanent ou constant ; rien, pas même le poil le plus ténu de
votre corps. Et cela n’est pas une théorie, mais quelque chose que vous pouvez
réellement parvenir à savoir et à réaliser, et même à voir de vos propres
yeux.
C’est avant tout parce que nous n’avons pas réalisé la vérité de
l’impermanence que nous éprouvons tant d’angoisse devant la mort et tant de
difficulté à la regarder en face. Nous désirons si désespérément voir tout
continuer comme à l’ordinaire, que nous nous persuadons que rien ne changera
jamais. Mais c’est là une chimère. Et, comme nous le découvrons si souvent, ce
que nous croyons n’a pas grand-chose à voir – sinon rien – avec la réalité.
Pourtant c’est cette illusion, avec ce qu’elle comporte d’informations erronées, d’idées et de suppositions, qui constitue les fondations branlantes sur lesquelles nous bâtissons notre vie. Peu importe que la vérité vienne sans cesse nous contredire ; nous préférons continuer, dans un élan de courage désespéré, à entretenir notre fiction.
Pourtant c’est cette illusion, avec ce qu’elle comporte d’informations erronées, d’idées et de suppositions, qui constitue les fondations branlantes sur lesquelles nous bâtissons notre vie. Peu importe que la vérité vienne sans cesse nous contredire ; nous préférons continuer, dans un élan de courage désespéré, à entretenir notre fiction.
Réfléchissez à ceci : la réalisation de l’impermanence est, paradoxalement,
la seule chose à laquelle nous puissions nous raccrocher, peut-être notre seul
bien durable.
la réflexion sur la mort et l’impermanence nous réveille et nous ramène à
la vérité :
Ce qui est né mourra, Ce qui a été rassemblé sera dispersé, Ce qui a été
amassé sera épuisé, Ce qui a été édifié s’effondrera, Et ce qui a été élevé
sera abaissé.
L’univers entier, nous disent aujourd’hui les scientifiques, n’est que
changement, activité et transformation : une fluctuation continuelle qui
est le fondement de toute chose.
Toute interaction subatomique consiste en l’annihilation des particules
d’origine et en la création de nouvelles particules subatomiques. Le monde
subatomique est une danse sans fin de création et d’annihilation, de matière
devenant énergie et d'énergie devenant matière. Des formes transitoires
apparaissent et disparaissent en un éclair, engendrant une réalité sans fin,
constamment recréée.
Posez-vous ces deux questions : est-ce que je me souviens, à chaque
instant, que je suis en train de mourir ainsi que toute personne et toute
chose, et est-ce que je traite en conséquence tous les êtres, à tout moment,
avec compassion ?
Ma compréhension de la mort et de l’impermanence est-elle devenue si vive
et si aiguë que je consacre chaque seconde de mon existence à la poursuite de
l’éveil ?
Si vous pouvez répondre par l’affirmative à ces deux questions, alors
oui, vous avez réellement compris l’impermanence.
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